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MAUPRAT.

Mes oncles avaient long-temps projeté de s’adjoindre aux rapines et à la résistance de ce hobereau. Mais, au moment où Pleumartin, près de tomber au pouvoir de ses ennemis, nous avait donné sa parole de nous accueillir comme amis et alliés, si nous marchions à son secours, nous avions appris sa chute et sa fin tragique. Nous étions donc à toute heure sur nos gardes. Il fallait quitter le pays ou traverser une crise décisive. Les uns conseillaient le premier parti ; les autres s’obstinaient à suivre le conseil du père mourant, et à s’enterrer sous les ruines du donjon. Ils traitaient de lâcheté et de couardise toute idée de fuite ou de transaction. La crainte d’encourir un pareil reproche, et peut-être un peu l’amour instinctif du danger, me retenaient donc encore ; mais mon aversion pour cette existence odieuse sommeillait en moi, toujours prête à éclater violemment.

Un soir que nous avions largement soupé, nous restâmes à table, continuant à boire et à converser, Dieu sait dans quels termes et sur quels sujets ! Il faisait un temps affreux, l’eau ruisselait sur le pavé de la salle par les fenêtres disjointes, l’orage ébranlait les vieux murs. Le vent de la nuit sifflait à travers les crevasses de la voûte et faisait ondoyer la flamme de nos torches de résine. On m’avait beaucoup raillé, pendant le repas, de ce qu’on appelait ma vertu ; on avait traité ma sauvagerie envers les femmes de continence, et c’était surtout à ce propos qu’on me poussait à mal par la mauvaise honte. Comme tout en me défendant de ces moqueries grossières et en ripostant sur le même ton, j’avais bu énormément, ma farouche imagination s’était enflammée, et je me vantais d’être plus hardi et mieux venu auprès de la première femme qu’on amènerait à la Roche-Mauprat qu’aucun de mes oncles. Le défi fut accepté avec de grands éclats de rire. Les roulemens de la foudre répondirent à cette gaîté infernale. Tout à coup le cor sonna à la herse. Tout rentra dans le silence. C’était la fanfare dont les Mauprat se servaient entre eux pour s’appeler et se reconnaître. C’était mon oncle Laurent qui avait été absent tout le jour et qui

    récit de Mauprat du reproche d’exagération. La plume se refuserait à tracer les féroces obscénités et les raffinemens de torture qui signalèrent la vie de cet insensé, et qui perpétuèrent les traditions du brigandage féodal dans le Berry jusqu’aux derniers jours de l’ancienne monarchie. On fit le siége de son château, et après une résistance opiniâtre, il fut pris et pendu.