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REVUE. — CHRONIQUE.

tournure, ni son organe, ni le caractère de son talent, assez fort pour marcher dans son indépendance. C’est dans l’expression musicale qu’il cherche tous ses effets ; c’est là que réside tout le secret de sa pantomime et de son jeu. Nourrit composait ses rôles à loisir et portait, dans les moindres parties, le même empressement, la même exactitude, le même soin curieux ; celui-ci ne s’inquiète guère du détail, et va au hasard où le poussent son ame et sa voix. De là moins d’unité dans le caractère, moins d’harmonie dans l’ensemble ; mais aussi, quand vient l’effet sur lequel toutes ses forces se concentrent, bien plus de véhémence et d’entraînement. Nourrit est l’homme d’un rôle ; Duprez l’homme d’une cavatine ; l’un représente l’étude, l’autre l’inspiration : lequel de ces deux systèmes (en admettant que l’inspiration soit un système) doit prévaloir devant un public français ? L’avenir en décidera. Les qualités éminentes de Duprez ne se produiront guère dans leur véritable jour que lorsque ce chanteur paraîtra dans un rôle écrit à son intention. Alors seulement son talent pourra se déployer avec aisance et franchise et porter sur les effets qu’il affectionne les forces qu’il dépense aujourd’hui à tourner adroitement les passages où vibrait le timbre métallique de Nourrit. Il y avait un homme qui aurait composé merveilleusement pour Duprez, c’était Bellini. À cette voix large, mais pacifique, rien ne convenait mieux que les cantilènes si pleines de mélancolie et de langueur de l’auteur de la Straniera et de Norma. Du reste, un maître dont la valeur ne se discute plus aujourd’hui, celui que le succès semble avoir choisi entre tous, étudie à cette heure les secrets du nouveau chanteur. Nous souhaitons vivement que de l’étude le maître en vienne à la composition, et que son œuvre ne tarde pas à se produire, car nous avons la conviction sincère qu’elle sera de long-temps, pour Duprez, la seule épreuve sérieuse.

La fortune de l’administration nouvelle est désormais assurée ; quelques jours avant les débuts de Duprez, Fanny et Thérèse Elssler avaient fait leur rentrée au milieu des applaudissemens et des couronnes. Voilà les deux beaux arts qui soutiennent l’Opéra également en honneur pour l’avenir. Aujourd’hui Duprez, demain Fanny Elssler. Lorsque la danse s’émeut, la musique se repose. D’ailleurs pourquoi vouloir répudier la danse, cet art charmant du sourire, des gestes harmonieux et de la forme pure, que cette merveilleuse Fanny semble avoir retrouvé dans un souvenir de la Grèce antique ?


H. W.


F. Buloz.