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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ment, suspend assez long-temps sa vie, et la voilà pareille, près du petit qui pleure, à une vierge de cire habillée en bergère. »

Jeanne, la diseuse de bonne aventure, survient ; mais Marguerite, qui veut s’assurer de son malheur, dissimule ; elle a l’air d’attendre encore Baptiste. La vieille lui dit : « Ma fille, tu l’aimes trop, je te blâme. À croire au bonheur il ne faut pas tant s’accoutumer. Va, crois-moi, prie Dieu de ne pas tant l’aimer. » — « Jeanne, répond l’aveugle, plus je prie Dieu, plus je l’aime ! mais ce n’est pas un péché ; il est bien toujours pour moi ?… » Jeanne n’a rien répondu, tout est dit, c’est assez.

La troisième scène commence avec l’angélus du matin des noces :


De la cloche, à la fin, neuf petits coups s’entendent,
Et l’aube blanchissante, arrivant lentement,
Trouve dans deux maisons deux filles qui l’attendent ;
Combien différemment !


Le poète passe tour à tour d’Angèle, la jolie et la légère, qui ne voit que sa croix d’or et sa couronne, à la pauvre Marguerite, qui, à tâtons, va chercher au fond d’un tiroir quelque chose qu’elle cache en frémissant dans son sein. Angèle, au bruit des baisers et des chansons, oublie de faire sa prière ; Marguerite, le front couvert d’une froide sueur, agenouillée, dit tout bas, pendant que son frère ôte le verrou : « Ô mon Dieu ! pardonne-le-moi ? » Et elle se met en marche vers l’église, appuyée sur l’enfant ; pas de soleil encore, il bruine ; l’odeur du laurier qui jonche le chemin lui arrive parfois et la fait frissonner. Ils avancent du côté du château, vers la petite église à la façade noircie et pointue, où chante l’orfraie. — « Paul, dit la jeune fille, finis avec ta crécelle ! — Où sommes-nous ? il me semble que nous montons. » — « Eh ! ne vois-tu pas que nous arrivons ? dit l’enfant ; n’entends-tu pas chanter l’orfraie sur le clocher ? Oh ! le vilain oiseau ! il porte malheur, n’est-ce pas ? T’en souviens-tu, ma sœur ? quand notre pauvre père, la nuit que nous étions à le veiller, disait : « Tiens, petite, je suis plus malade ; garde bien Paul au moins, car je sens que je m’en vais. » Tu pleurais, lui aussi, moi aussi, tous nous pleurions. Eh bien ! sur le toit alors l’orfraie chanta, et, notre père mort, ici même, tiens ! on l’a porté. Aye ! tu m’embrasses