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REVUE DES DEUX MONDES.

Jacques Jasmin (Jaquou Jansemin) est né en 97 ou 98 ; l’autre siècle, vieux et cassé, n’avait plus, dit-il, qu’une couple d’années à passer sur la terre, quand, au coin d’une vieille rue, dans une masure peuplée de plus d’un rat, le jeudi gras, à l’heure où l’on fait sauter les crêpes, d’un père bossu, d’une mère boiteuse, naquit un enfant, un petit drôle, et ce drôle, c’était lui. Si un prince vient au monde, le canon le salue, et ce salut annonce le bonheur ; mais lui, pauvre fils d’un pauvre tailleur, pas même un coup de buquoire[1] n’annonça sa venue. Il naquit pourtant au bruit d’un affreux charivari qu’on donnait à quelque voisin, et qui, dans son tintamarre de cornets et de poèlons, ne faisait que mieux résonner à ses oreilles vierges les trente couplets d’une chanson composée par son père. Le père de Jasmin, qui ne savait pas lire, faisait d’instinct la plupart des couplets burlesques chantés aux charivaris si fréquens dans le pays. Voilà une filiation poétique tout aussi établie que celle des deux Marot.

Nous avons le ton du badinage de Jasmin. Il grandit, il prospère, au fond de son pauvre petit berceau tout farci de plumes d’alouettes, maigre, menu, nourri pourtant de bon lait, et joyeux comme le fils d’un roi. Sept ans arrivent ; il sent, il se souvient, il peut peindre son enfance. À cet âge, il le fallait voir, le cornet en main, coiffé de papier gris, suivre son père dans les charivaris du lieu. Mais sa grande joie était surtout d’aller au bois dans les petites îles de la Garonne, toutes remplies de saussaye. « Pieds nus, nue tête, dit-il, j’allais à la ramée ; je n’étais pas seul ; nous étions vingt, nous étions trente. Oh ! que mon ame tressaillait quand nous partions tous, au coup de midi, en entonnant : l’Agneau que tu m’as donné[2]. De ce plaisir, le souvenir encore m’exalte ! » À l’île ! à l’île ! criait le plus vaillant, et tous se hâtaient d’y aborder et de faire chacun son petit fagot. Le fagot était fait une heure avant la nuit, et on en profitait pour des jeux. Et le tableau du retour, qu’il était joli et mouvant ! Sur trente têtes, trente fagots sautillaient, et trente voix formaient, comme en partant, même concert avec même refrain.

Un des traits les plus marquans de la poésie de Jasmin, et qu’il

  1. Petit instrument de sureau avec lequel se canonnent les enfans.
  2. Noël Célèbre du Midi.