Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/400

Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
REVUE DES DEUX MONDES.

nos jours la poésie populaire en général, c’est bien le moins qu’on ne dédaigne pas l’individu poète, resté du peuple, là où il se rencontre avec le feu, la naïveté première et l’incontestable don. Si on recherche avec curiosité les traditions locales, les vieux noëls en patois, les vestiges d’une culture ou d’une inspiration ancienne, il faut noter aussi ce qui est vivant, le poète plein de vigueur qui, dans le moindre rang social où il se tient, enrichit tout d’un coup de compositions franches, originales, suivies, son patois harmonieux encore, débris d’une langue illustre, mais enfin un patois qu’on croyait déshérité désormais de toute littérature. L’Angleterre a eu et a ses bergers, ses forgerons poètes, et nous les connaissons ; nous nous plaignons de n’avoir rien de tel ; nous cherchons autour de nous. Nous demandons aux provinces qui ont le mieux conservé leur cachet antique, à notre Bretagne, par exemple, tout ce qu’elle recèle de poésie à elle, et nous regrettons de ne rien trouver de contemporain. Là où nous rencontrons un contemporain imprévu qui, pour être tout-à-fait du peuple, n’en est que plus poète selon son cœur, et selon notre propre génie français, ne disons pas : C’est différent ; sachons le reconnaître sans pruderie et l’honorer.

M. Jasmin (ou plutôt qu’il nous permette, pour toute familiarité, de l’appeler Jasmin tout court, comme nous disons Béranger), Jasmin donc n’est pas un laboureur ni un berger ; c’est un coiffeur d’Agen, déjà un peu connu ici par un article très flatteur de Charles Nodier. Jasmin, en étant de ce métier cher à Gil Blas et à Figaro, n’y déroge point par la tournure même de son esprit, de son talent ; c’est un Français du Midi, qui est de la pure et bonne race des Villon, des Marot, et dans la boutique de qui Molière aurait aimé à s’asseoir de longues heures, comme il faisait chez le barbier de Pézenas. On a dernièrement beaucoup parlé, et avec raison, de M. Reboul de Nîmes, qui, simple boulanger, s’est élevé à des accens de poésie qu’a reconnus et salués la lyre de Lamartine. Mais l’inspiration de Reboul n’a rien de commun avec celle de Jasmin. Reboul est un poète français, de l’école des Méditations ; il écrit et chante en notre français classique avec pureté, harmonie ; son originalité consiste bien plutôt dans le contraste de ses écrits avec sa profession, que dans le caractère même de sa poésie. Obligé à un état manuel, et bien qu’il n’en rougisse point, Reboul