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me lever ; et ce stratagème ayant réussi, j’allai dormir tout le jour dans l’abat-foin.

v.

N’ayant plus rien à craindre pour moi-même, il m’eût été facile de me venger de mon ennemi ; tout m’y conviait. Le propos qu’il avait tenu contre la famille eût suffi sans même invoquer l’outrage fait à ma personne, et que je répugnais à avouer. Je n’avais donc qu’un mot à dire : sept Mauprat eussent été à cheval au bout d’un quart d’heure, charmés d’avoir un exemple à faire en maltraitant un homme qui ne leur fournissait aucune redevance, et qui ne leur eût semblé bon qu’à être pendu pour effrayer les autres. Mais les choses n’eussent-elles pas été aussi loin, je ne sais comment il se fit que je sentis une répugnance insurmontable à demander vengeance à huit hommes contre un seul. Au moment de le faire (car, dans ma colère, je me l’étais bien promis), je fus retenu par je ne sais quel instinct de loyauté que je ne me connaissais pas, et que je ne pus guère m’expliquer à moi-même. Et puis les paroles de Patience avaient peut-être fait naître en moi, à mon insu, un sentiment de honte salutaire. Peut-être ses justes malédictions contre les nobles m’avaient-elles fait entrevoir quelque idée de justice. Peut-être, en un mot, ce que j’avais pris jusque-là en moi pour des mouvemens de faiblesse et de pitié commença-t-il dès-lors sourdement à me sembler plus grave et moins méprisable.

Quoi qu’il en soit, je gardai le silence, je me contentai de rosser Sylvain pour le punir de m’avoir abandonné et pour le déterminer à se taire sur ma mésaventure. Cet amer souvenir était assoupi, lorsque vers la fin de l’automne, il m’arriva de battre les bois avec Sylvain. Ce pauvre Sylvain avait de l’attachement pour moi, car en dépit de mes brutalités, il venait toujours se placer sur mes talons, dès que j’étais hors du château. Il me défendait contre tous ses compagnons en soutenant que je n’étais qu’un peu vif et point méchant. — Ce sont les ames douces et résignées du peuple qui entretiennent l’orgueil et la rudesse des grands. — Nous chassions donc les alouettes au lacet, lorsque mon page ensabotté, qui furetait toujours à l’avant-garde, revint vers