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MAUPRAT.

ment que je me sentirai absous et réhabilité à la face du ciel. C’est alors seulement que je me croirai digne de dire à Jésus mon Sauveur : Écoute-moi, victime innocente, toi qui écoutas le bon larron, victime souillée, mais repentante, associée à la gloire de ton martyre, et rachetée par ton sang.

— Dans le cas où vous persisteriez dans cette volonté enthousiaste, lui dit l’abbé après lui avoir présenté sans succès toutes les objections possibles, veuillez du moins me dire en quoi vous avez pensé que je consentirais à vous aider.

— Je ne puis agir en ceci, répondit le trappiste, sans l’autorisation d’un homme qui bientôt sera le dernier des Mauprat ; car le chevalier n’a que peu de jours à attendre la récompense céleste acquise à ses vertus, et quant à moi, je ne puis échapper au supplice que je viens chercher, que pour retomber dans l’éternelle nuit du cloître. Je veux parler de Bernard Mauprat, je ne dirai pas mon neveu ; car s’il m’entendait, il rougirait de porter ce titre funeste. J’ai su son retour d’Amérique, et cette nouvelle m’a décidé à entreprendre le voyage au terme douloureux duquel vous me voyez.

Il me sembla qu’en parlant ainsi il jetait un regard oblique sur le massif où j’étais, comme s’il eût deviné ma présence. Peut-être l’agitation de quelques branches m’avait-elle trahi.

— Puis-je vous demander, dit l’abbé, ce que vous avez de commun aujourd’hui avec ce jeune homme ? Ne craignez-vous pas qu’aigri par les mauvais traitemens qui ne lui furent pas épargnés autrefois à la Roche-Mauprat, il ne refuse de vous voir ?

— Je suis certain qu’il le refusera, car je sais la haine qu’il nourrit pour moi, dit le trappiste en se tournant encore vers le lieu où j’étais. Mais j’espère que vous le déciderez à m’accorder cette entrevue, car vous êtes généreux et bon, monsieur l’abbé. Vous m’avez promis de m’obliger, et, d’ailleurs, vous êtes l’ami du jeune Mauprat, et vous lui ferez comprendre qu’il y va de ses intérêts et de l’honneur de son nom.

— Comment cela ? reprit l’abbé. Sans doute il sera peu flatté de vous voir paraître devant les tribunaux pour des crimes ensevelis dans l’ombre du cloître. Il doit désirer, certainement, que vous renonciez à cette expiation éclatante ; comment espérez-vous qu’il y consente ?