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dans la tombe la certitude qu’il lui reste un appui et un défenseur. Songez, enfin, que c’est à cause de vous, à cause d’un serment que son inclination désavoue peut-être, mais que sa conscience respecte, qu’elle est ainsi abandonnée, calomniée…

Le chevalier fondit en larmes, et toutes les douleurs de cette famille infortunée me furent révélées en un instant. — Assez ! assez ! m’écriai-je en tombant à leurs pieds ; tout cela est trop cruel. Je serais le dernier des misérables, si j’avais besoin qu’on me remît sous les yeux mes fautes et mes devoirs. Laissez-moi pleurer à vos genoux ! laissez-moi expier par l’éternelle douleur, par l’éternel renoncement de ma vie, le mal que je vous ai fait ! Pourquoi ne m’avoir pas chassé lorsque je vous ai nui ? Pourquoi, mon oncle, ne m’avoir pas cassé la tête d’un coup de pistolet, comme à une bête fauve ? Qu’ai-je fait pour être épargné, moi qui payais vos bienfaits de la ruine de votre honneur ? Non, non, je le sens, Edmée ne doit pas m’épouser ; ce serait accepter la honte de l’injure que j’ai attirée sur elle. Moi, je resterai ici ; je ne la verrai jamais, si elle l’exige ; mais je me coucherai en travers de sa porte comme un chien fidèle, et je déchirerai le premier qui osera se présenter devant elle autrement qu’à genoux ; et si quelque jour un honnête homme, plus heureux que moi, mérite de fixer son choix, loin de le combattre, je lui remettrai le soin cher et sacré de la protéger et de la défendre ; je serai son ami, son frère ; et quand je les verrai heureux ensemble, j’irai mourir en paix loin d’eux. Mes sanglots m’étouffaient, le chevalier serra sa fille et moi sur son cœur, et nous confondîmes nos larmes, en lui jurant de ne jamais nous séparer, ni pendant sa vie, ni après sa mort.

— Ne perds pourtant pas l’espérance de l’épouser, me dit le chevalier à voix basse, quelques instans après, quand le calme se fut rétabli : elle a d’étranges volontés ; mais vois-tu, rien ne m’ôtera de l’esprit qu’elle a de l’amour pour toi. Elle ne veut pas s’expliquer encore. Ce que femme veut, Dieu le veut.

— Et ce qu’Edmée veut, je le veux, répondis-je.

Quelques jours après cette scène, qui fit succéder dans mon ame la tranquillité de la mort aux agitations de la vie, je me promenais dans le parc avec l’abbé.

— Il faut, me dit-il que je vous fasse part d’une aventure qui m’est arrivée hier, et qui est passablement romanesque. J’avais