Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/390

Cette page a été validée par deux contributeurs.
380
REVUE DES DEUX MONDES.

dis à Edmée tout ce que me suggéra la passion la plus exaltée. Elle m’écouta en silence et sans retirer ses mains, que je couvrais de baisers. Mais sa physionomie était grave, et l’expression de sa voix me fit trembler lorsqu’elle dit, après avoir réfléchi quelques instans : — Mon père ne devrait jamais douter de ma parole ; j’ai promis d’épouser Bernard, je l’ai promis à Bernard et à mon père, il est donc certain que je l’épouserai. — Puis elle ajouta après une nouvelle pause, et d’un ton plus sévère encore : — Mais si mon père se croit à la veille de mourir, quelle force me suppose-t-il donc pour m’engager à ne songer qu’à moi, et me faire revêtir ma robe de noces à l’heure de ses funérailles ? Si au contraire il est, comme je le crois, toujours plein de force malgré ses souffrances, et appelé à jouir encore pendant de longues années de l’amour de sa famille, d’où vient qu’il me presse si impérieusement d’abréger le délai que je lui ai demandé ? N’est-ce pas une chose assez importante pour que j’y réfléchisse ? Un engagement qui doit durer toute ma vie et qui décidera, je ne dis pas de mon bonheur, je saurais le sacrifier au moindre désir de mon père, mais de la paix de ma conscience et de la dignité de ma conduite (car quelle femme peut être assez sûre d’elle-même pour répondre d’un avenir enchaîné contre son gré ?) ; un tel engagement ne mérite-t-il pas que j’en pèse tous les risques et tous les avantages pendant plusieurs années au moins ? — Dieu merci ! voilà sept ans que vous passez à peser tout cela, dit le chevalier ; vous devriez savoir à quoi vous en tenir sur le compte de votre cousin. Si vous voulez l’épouser, épousez-le ; mais si vous ne le voulez pas, pour Dieu ! dites-le, et qu’un autre se présente. — Mon père, répondit Edmée un peu froidement, je n’épouserai que lui. — Que lui est fort bien, dit le chevalier en frappant avec la pincette sur les bûches, mais cela ne veut peut-être pas dire que vous l’épouserez. — Je l’épouserai, mon père, reprit Edmée. J’aurais désiré quelques mois encore de liberté ; mais puisque vous êtes mécontent de tous ces retards, je suis prête à obéir à vos ordres, vous le savez. — Parbleu ! voilà une jolie manière de consentir, s’écria mon oncle, et bien engageante pour votre cousin ! Ma foi, Bernard, je suis bien vieux, mais je puis dire que je ne comprends rien aux femmes, et il est probable que je mourrai sans y avoir rien compris.

— Mon oncle, lui dis-je, je comprends fort bien l’éloignement de