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MAUPRAT.

me les diras quand nous reviendrons ici, lui répondis-je, et ce ne sera pas de si tôt, car mes affaires vont beaucoup mieux que si je m’en mêlais, et je n’aimerais pas à prendre l’habitude de boire du madère pour ne pas avoir peur de mon ombre. Si tu veux m’obliger, Marcasse, tu ne parleras à personne de ce qui s’est passé. Tout le monde n’a pas pour ton capitaine la même estime que toi. — Celui-là est un imbécille qui n’estime pas mon capitaine, répondit l’hidalgo d’un ton doctoral ; mais si vous me l’ordonnez, je ne dirai rien.

Il me tint parole. Pour rien au monde je n’eusse voulu troubler l’esprit d’Edmée de cette sotte histoire. Mais je ne pus empêcher Marcasse d’exécuter son projet. Dès le lendemain matin il avait disparu, et j’appris de Patience qu’il était retourné à la Roche-Mauprat sous prétexte d’y avoir oublié quelque chose.

xviii.

Tandis que Marcasse se livrait à ses graves recherches, je passais auprès d’Edmée des jours pleins de délices et d’angoisses. Sa conduite ferme, dévouée, mais réservée à beaucoup d’égards, me jetait dans de continuelles alternatives de joie et de douleur. Un jour le chevalier eut une longue conférence avec elle, tandis que j’étais à la promenade. Je rentrai au moment où leur conversation était le plus animée, et dès que je parus : — Approche, me dit mon oncle ; viens dire à Edmée que tu l’aimes, que tu la rendras heureuse, que tu es corrigé de tes anciens défauts. Arrange-toi pour être agréé, car il faut que cela finisse. Notre position vis-à-vis du monde n’est pas tenable, et je ne veux pas descendre dans le tombeau sans avoir vu réhabiliter l’honneur de ma fille, et sans être sûr que quelque sot caprice de sa part ne la jettera pas dans un couvent, au lieu de lui laisser occuper dans le monde le rang qui lui appartient, et que j’ai travaillé toute ma vie à lui assurer. Allons, Bernard, à ses pieds ! Ayez l’esprit de lui dire quelque chose qui la persuade, ou bien je croirai, Dieu me pardonne, que c’est vous qui ne l’aimez pas, et qui ne désirez pas sincèrement l’épouser.

— Moi ! juste ciel ! mécriai-je, ne pas le désirer ! quand je n’ai pas d’autre pensée depuis sept ans, quand mon cœur n’a pas d’autre vœu et que mon esprit ne conçoit pas d’autre bonheur ! — Je