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malheur à toi, car tu es un méchant enfant, et tu seras un malhonnête homme. Tu as fait une mauvaise action, tu as mis ton plaisir à causer de la peine à un vieillard qui ne t’a jamais nui, et tu l’as fait avec perfidie, avec lâcheté, en dissimulant et en lui disant le bonsoir avec politesse. Tu es un menteur, un infâme, tu m’as arraché ma seule société, ma seule richesse, tu t’es réjoui dans le mal. Que Dieu te préserve de vivre, si tu dois continuer ainsi !

— Ô monsieur Patience, criait l’enfant en joignant les mains, ne me maudissez pas, ne me charmez pas, ne me donnez pas de maladie, ce n’est pas moi ! Que Dieu m’extermine si c’est moi !…

— Si ce n’est pas toi, c’est donc celui-là ? dit Patience en me prenant par le collet de mon habit, et en me secouant comme un arbrisseau qu’on va déraciner.

— Oui, c’est moi, répondis-je avec hauteur, et si vous voulez savoir mon nom, apprenez qu’on m’appelle Bernard Mauprat, et qu’un vilain qui touche à un gentilhomme mérite la mort.

— La mort ? toi, tu me donneras la mort, Mauprat ! s’écria le vieillard pétrifié de surprise et d’indignation, et que serait donc Dieu, si un morveux comme toi avait le droit de menacer un homme de mon âge ? — La mort ! ah ! tu es bien un Mauprat, et tu chasses de race, chien maudit ! Cela parle de donner la mort, et tout au plus si cela est né ! — La mort, mon louveteau ? sais-tu que c’est toi qui mérites la mort, non pas pour ce que tu viens de faire, mais pour être fils de ton père et neveu de tes oncles. Ah ! je suis content de tenir un Mauprat dans le creux de ma main, et de savoir si un coquin de gentilhomme pèse autant qu’un chrétien ; et en même temps il m’enlevait de terre comme il eût fait d’un lièvre. — Petit, dit-il à mon compagnon, va-t’en chez toi, et ne crains rien. Patience ne se fâche guère contre ses pareils, et il pardonne à ses frères, parce que ses frères sont des ignorans comme lui, et ne savent pas ce qu’ils font ; mais un Mauprat, vois-tu, ça sait lire et écrire, et ça n’en est que plus méchant. Va-t’en… mais non, reste, je veux qu’une fois dans ta vie tu voies un gentilhomme recevoir le fouet de la main d’un vilain. Tu vas voir cela, et je te prie de ne pas l’oublier, petit, et de le raconter à tes parens.

J’étais pâle de colère, mes dents se brisaient dans ma bouche, je fis une résistance désespérée. Patience, avec un sang-froid