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MAUPRAT.

mon idéal, et si je l’ai rencontré, je n’ai pu ni l’étudier ni le reconnaître ; ce bonheur vous est accordé, Bernard, mais vous n’approfondirez pas l’histoire naturelle ; un seul homme ne peut pas tout avoir.

Quant à mon soupçon sur le mariage d’Edmée, que je redoutais, il le rejetait bien loin, comme une obsession maladive. Il trouvait au contraire, dans le silence d’Edmée à cet égard, une admirable délicatesse de conduite et de sentimens. Une personne vaine prendrait soin, disait-il, de vous apprendre tous les sacrifices qu’elle vous fait, de vous énumérer les titres et qualités des prétendans qu’elle repousse. Mais Edmée est une ame trop élevée, un esprit trop sérieux pour entrer dans ces détails futiles. Elle regarde vos conventions comme inviolables, et n’imite pas ces consciences faibles qui parlent toujours de leurs victoires pour se faire un mérite de ce que la vraie force trouve facile. Elle est née si fidèle, qu’elle n’imagine même pas qu’on puisse la soupçonner de ne pas l’être.

Ces entretiens versaient un baume salutaire sur mes blessures. Lorsque la France accorda enfin ouvertement son alliance à la cause américaine, j’appris de l’abbé une nouvelle qui me rassura entièrement sur un point. Il m’écrivait que probablement je retrouverais au Nouveau-Monde un ancien ami. Le comte de La Marche avait obtenu un régiment, et il partait pour les États-Unis. Entre nous soit dit, ajoutait l’abbé, il lui était bien nécessaire de se créer une position. Ce jeune homme, quoique modeste et sage, a toujours eu la faiblesse de céder à un préjugé de famille. Il avait honte de sa pauvreté et la cachait comme on cache une lèpre, si bien qu’il a achevé de se ruiner en voulant ne pas laisser paraître les progrès de sa ruine. On attribue dans le monde la rupture d’Edmée avec lui à ces revers de fortune, et l’on va jusqu’à dire qu’il était peu épris de sa personne et beaucoup de sa dot. Je ne saurais me résoudre à lui supposer des vues basses, et je crois seulement qu’il a subi les souffrances auxquelles conduisent de faux principes sur le prix des biens de ce monde. Si vous le rencontrez, Edmée désire que vous lui témoigniez de l’intérêt, et que vous lui exprimiez celui qu’elle a toujours manifesté pour lui. La conduite de votre admirable cousine a été en ceci, comme dans toutes choses, pleine de douceur et de dignité.