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On peut juger du nombre prodigieux des possessions des templiers par celui des terres, des fermes, des forts ruinés, qui, dans nos villes ou nos campagnes, portent encore le nom du Temple. Ils possédaient, dit-on, plus de neuf mille manoirs dans la chrétienté[1]. En une seule province d’Espagne, au royaume de Valence, ils avaient dix-sept places fortes. Ils achetèrent argent comptant le royaume de Chypre, qu’ils ne purent, il est vrai, garder.

Avec de tels priviléges, de telles richesses, de telles possessions, il était bien difficile de rester humbles. Richard-Cœur-de-Lion disait en mourant : « Je laisse mon avarice aux moines de Cîteaux, ma luxure aux moines gris, ma superbe aux templiers. »

Au défaut de musulmans, cette milice inquiète et indomptable guerroyait contre les chrétiens. Ils firent la guerre au roi de Chypre et au prince d’Antioche. Ils détrônèrent le roi de Jérusalem Henri II et le duc de Croatie. Ils ravagèrent la Thrace et la Grèce. Tous les croisés qui revenaient de Syrie ne parlaient que des trahisons des templiers, de leurs liaisons avec les infidèles. Ils étaient notoirement en rapport avec les Assassins de Syrie[2] ; le peuple remarquait avec effroi l’analogie de leur costume avec celui des sectateurs du Vieux de la Montagne. Ils avaient accueilli le soudan dans leurs maisons, permis le culte mahométan, averti les infidèles de l’arrivée de Frédéric II. Dans leurs rivalités furieuses contre les hospitaliers, ils avaient été jusqu’à lancer des flèches dans le Saint-Sépulcre[3]. On assurait qu’ils avaient tué un chef musulman qui voulait se faire chrétien pour ne plus leur payer tribut.

La maison de France, particulièrement, croyait avoir à se plaindre des templiers. Ils avaient tué Robert de Brienne à Athènes. Ils avaient refusé d’aider à la rançon de saint Louis. En dernier lieu, ils s’étaient déclarés pour la maison d’Aragon contre celle d’Anjou.

  1. Habent templarii in christianitate novem millia maneriorum… (Math. Paris., pag. 417.) — Plus tard la chronique de Flandre leur attribue dix mille cinq cents manoirs. Dans la sénéchaussée de Beaucaire, l’ordre avait acheté, en quarante ans, pour 10,000 livres de rentes. — Le seul prieuré de Saint-Gilles avait cinquante-quatre commanderies. (Grouvelle, pag. 196.)
  2. Voyez Hammer, Histoire des Assassins, traduit par MM. Hellert et Lanourais.
  3. En 1259, l’animosité fut poussée à un tel excès, qu’ils se livrèrent une bataille dans laquelle les templiers furent taillés en pièces. Les historiens disent qu’il n’en échappa qu’un seul.