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une présomption d’innocence. On est tenté de ne pas croire des malheureux qui s’accusent dans les gênes. S’il y eut des souillures, on est tenté de ne plus les voir, effacées qu’elles furent dans la flamme des bûchers.

Il subsiste cependant de graves aveux, obtenus hors de la question et des tortures. Les points même qui ne furent pas prouvés, n’en sont pas moins vraisemblables pour qui connaît la nature humaine, pour qui considère sérieusement la situation de l’ordre dans ses derniers temps.

Il était naturel que le relâchement s’introduisît parmi des moines, guerriers, des cadets de la noblesse, qui couraient les aventures loin de la chrétienté, souvent loin des yeux de leurs chefs, entre les périls d’une guerre à mort et les tentations d’un climat brûlant, d’un pays d’esclaves, de la luxurieuse Syrie. L’orgueil et l’honneur les soutinrent tant qu’il y eut espoir pour la Terre-Sainte. Sachons-leur gré d’avoir résisté si long-temps, lorsqu’à chaque croisade leur attente était si tristement déçue, lorsque toute prédiction mentait, que les miracles promis s’ajournaient toujours. Il n’y avait pas de semaine que la cloche de Jérusalem ne sonnât l’apparition des Arabes dans la plaine désolée. C’était toujours aux templiers, aux hospitaliers à monter à cheval, à sortir des murs. Enfin, ils perdirent Jérusalem, puis Saint-Jean d’Acre. Soldats délaissés, sentinelles perdues, faut-il s’étonner si, au soir de cette bataille de deux siècles, les bras leur tombèrent ?

La chute est grave après les grands efforts. L’ame montée si haut dans l’héroïsme et la sainteté tombe bien lourde en terre… Malade et aigrie, elle se plonge dans le mal avec une faim sauvage, comme pour se venger d’avoir cru.

Telle paraît avoir été la chute du Temple. Tout ce qu’il y avait eu de saint en l’ordre, devint péché et souillure. Après avoir tendu de l’homme à Dieu, il tourna de Dieu à la bête[1]. Les pieuses agapes, les fraternités héroïques, couvrirent de sales amours de moines. Ils cachèrent l’infamie en s’y mettant plus avant. L’orgueil y trouvait encore son compte ; ce peuple éternel, sans famille ni génération charnelle, recruté par l’élection et

  1. On connaît notre dicton populaire : « Boire comme un templier : » Les Anglais en avaient un autre : « Omnes pueri clamabant publice et vulgariter unus ad alterum : Custodiatis vos ab osculo templariorum. » (Conc. Britann., pag. 360, testis 24.