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le-Bel lui-même en avait profité en 1306, lorsqu’il était poursuivi par le peuple soulevé. Il restait encore, à l’époque de la révolution, un monument de cette ingratitude royale, la grosse tour à quatre tourelles, bâtie en 1222. Elle servit de prison à Louis XVI.

Le Temple de Paris était le centre de l’ordre, son trésor ; les chapitres généraux s’y tenaient. De cette maison dépendaient toutes les provinces de l’ordre : Portugal, Castille et Léon, Aragon, Majorque, Allemagne, Italie, Pouille et Sicile, Angleterre et Irlande. Dans le nord, l’ordre teutonique était sorti du Temple, comme en Espagne d’autres ordres militaires se formèrent de ses débris. L’immense majorité des templiers étaient Français, particulièrement les grands-maîtres. Dans plusieurs langues, on désignait les chevaliers par leur nom français : Frieri del Tempio, φρεριοι τοῦ Τεμπλοῦ.

Le Temple, comme tous les ordres militaires, dérivait de Cîteaux. Le réformateur de Cîteaux, saint Bernard, de la même plume qui commentait le Cantique des Cantiques, donna aux chevaliers leur règle enthousiaste et austère. Cette règle, c’était l’exil et la guerre sainte jusqu’à la mort. Les templiers devaient toujours accepter le combat, fut-ce d’un contre trois, ne jamais demander quartier, ne point donner de rançon, pas un pan de mur, pas un pouce de terre. Ils n’avaient pas de repos à espérer. On ne leur permettait pas de passer dans des ordres moins austères.

« Allez heureux, allez paisibles, leur dit saint Bernard ; chassez d’un cœur intrépide les ennemis de la croix de Christ, bien sûrs que ni la vie ni la mort ne pourront vous mettre hors l’amour de Dieu qui est en Jésus. En tout péril, redites-vous la parole : Vivans ou morts, nous sommes au Seigneur… Glorieux les vainqueurs, heureux les martyrs[1] ! »

Voici la rude esquisse qu’il nous donne de la figure du templier : « Cheveux tondus, poil hérissé, souillé de poussière ; noir de fer, noir de hâle et de soleil… Ils aiment les chevaux ardens et rapides, mais non parés, bigarrés, caparaçonnés… Ce qui charme dans cette foule, dans ce torrent qui coule à la Terre-Sainte, c’est que vous n’y voyez que des scélérats et des impies. Christ d’un ennemi se fait un champion ; du persécuteur Saul, il

  1. Saint Bernard, Exhort. ad milites Templi, tom. i, pag. 544-560.