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faite, en sorte que les diatribes dirigées contre M. de Gasparin, se fabriquaient à la porte même du cabinet où il était censé administrer la France. M. Molé n’était pas plus épargné que M. de Gasparin, et, comme par un mot d’ordre ponctuellement exécuté, chaque éloge donné par les journaux du parti, au talent et au génie de M. Guizot, se terminait par un amer sarcasme contre ses collègues. C’est ainsi que les partisans effrénés de l’ordre monarchique entendent la hiérarchie sociale quand elle les blesse, et le pouvoir n’a droit à leurs égards qu’autant qu’il se trouve en leurs mains.

M. Guizot et ses amis ne doutaient pas que M. Molé ne cédât sans objection à une demande faite avec autant de convenance. M. Molé eut de grands torts en cette circonstance. Au lieu d’offrir, avec la politesse qui le caractérise, le ministère de l’intérieur à M. Guizot, il le pria de vouloir bien se rappeler que M. Guizot avait remis lui-même le portefeuille de l’intérieur à M. de Gasparin, en vantant l’exactitude, la longue pratique des affaires, et la fermeté de l’ancien préfet de Lyon.

Aux yeux de M. Molé, M. de Gasparin était toujours tel que M. Guizot l’avait montré quand il l’avait fait agréer comme membre du cabinet ; on savait bien alors, et M. Guizot savait mieux que personne, que M. de Gasparin ne brillerait pas dans les discussions de la chambre : aussi M. Guizot lui avait-il adjoint M. de Rémusat ; on le connaissait seulement pour un bon administrateur, et M. Molé ne voyait pas, lui, la nécessité de l’abandonner avec tant de dédain. Cependant, si M. Guizot persistait à vouloir éloigner M. de Gasparin, M. Molé demandait qu’il fût remplacé par M. de Montalivet. À peine ce nom fut-il prononcé, qu’il mit en feu tout le ministère.

D’où venait donc cet effroi de M. Guizot, qui n’a, disent ses amis et ses journaux, de frayeurs que pour les périls du trône et de la monarchie ? Assurément M. de Montalivet n’est pas un ennemi du roi et de sa famille. La loi d’apanage et celle de la dotation de la reine des Belges n’eussent pas été attaquées par M. de Montalivet dans le conseil ; la loi de non-révélation n’eût pas trouvé en lui un détracteur opiniâtre ; il n’était pas sans doute dans ses vues de préparer les élections dans le sens des adversaires du gouvernement. Et cependant M. Guizot jurait qu’il périrait plutôt que de laisser entrer M. de Montalivet au ministère de l’intérieur. En même temps, ses amis et lui-même se mirent en quête de ministres et d’un président du conseil. On courut au maréchal Soult et au général Sébastiani, on écrivit à M. de Barante et à M. de Saint-Aulaire ; on fit des combinaisons où M. de Montalivet devenait ministre du commerce, ministre de l’instruction publique, tout, excepté ministre de l’intérieur ; on lui eût volontiers confié l’armée, les flottes, le trésor ; on