Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
REVUE DES DEUX MONDES.

son repentir. Elle engage avec lui des querelles interminables ; elle explique ses scrupules, comme si la résistance pouvait effacer le passé ; elle attaque de front le caractère de Louis XIV, comme le ferait une femme sans amour, et semble prendre plaisir à l’irriter, tant elle met de maladresse dans l’expression de sa douleur. Y a-t-il au monde une femme de seize ans, amoureuse, aimée, maîtresse de l’homme à qui elle s’est librement donnée, assez gauche pour insister, en sa présence, sur le mérite d’un autre homme ? Si cette bévue est un moyen dramatique, un élément de rupture entre le roi et Mlle de La Vallière, c’est un moyen bien mal choisi, car il viole toutes les lois de la vraisemblance et du bon sens. Tout le monde sait d’ailleurs que la première fuite à Chaillot de Mlle de La Vallière ne fut pas motivée par des scrupules religieux, mais par les reproches que Louis XIV lui avait adressés sur son extrême discrétion.

Avec des personnages ainsi conçus, il était difficile que M. Bulwer composât une pièce vraiment poétique. Par la mesquinerie des caractères, il était condamné à construire une fable mesquine. Il a subi logiquement toutes les conséquences d’une première faute. Le premier acte se divise en deux parties : l’entretien de Mlle de La Vallière avec le marquis de Bragelone, son fiancé, et son arrivée à la cour de Fontainebleau. La première partie a le défaut très grave de n’être pas claire. Louise de La Vallière n’ose dire ni à sa mère ni à son amant le véritable état de son cœur : elle s’exprime en termes ambigus ; et il semblerait naturel que la mère et l’amant se réunissent, sinon pour empêcher, du moins pour retarder le départ de Louise. Si le marquis de Bragelone aime vraiment sa fiancée, il ne doit pas se contenter de vagues explications. L’obscurité de ces premières scènes nuit beaucoup à l’intérêt que pourrait inspirer plus tard la conduite du marquis. L’arrivée à Fontainebleau de Mlle de La Vallière est trop brusquement annoncée. La conversation vulgaire de Grammont et de Lauzun prépare d’une façon insuffisante la scène entre le roi et Mlle de La Vallière. Cependant ce premier acte, n’est pas le plus faible des cinq. Si je ne dis rien du dialogue entre Bertrand l’armurier et le marquis de Bragelone, placé entre les adieux et l’arrivée, c’est que ce dialogue traîne depuis long-temps dans les romans et au théâtre, et n’a aucune importance dans la conduite de la pièce.