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MAUPRAT.

longue, lui dis-je, et je voudrais l’occuper du souvenir de tes caresses. Mais j’ai beau chercher, je ne retrouve pas la mémoire de ton amour.

Elle se pencha sur moi et me donna un baiser. — Vous avez tort, Edmée, dit l’abbé ; de tels remèdes se changent en poison. — Laissez-moi, l’abbé, lui répondit-elle avec impatience en s’asseyant près de mon lit ; laissez-moi, je vous en prie.

Je m’endormis, une main dans les siennes, et lui répétant par intervalles : — On est bien dans la tombe ; on est heureux d’être mort, n’est-ce pas ?

Durant ma convalescence, Edmée fut beaucoup moins expansive, mais tout aussi assidue. Je lui racontai mes rêves, et j’appris d’elle ce qu’il y avait de réel parmi mes souvenirs : sans cette confirmation, j’aurais toujours cru que j’avais tout rêvé. Je la suppliai de me laisser la bague, et elle y consentit. J’aurais dû ajouter, pour reconnaître tant de bontés, que je gardais cet anneau comme un gage d’amitié et non comme un anneau de fiançailles ; mais l’idée d’une telle abnégation était au-dessus de mes forces.

Un jour, je demandai des nouvelles de M. de La Marche. Ce fut seulement à Patience que j’osai adresser cette question. — Parti, répondit-il. — Comment parti ? repris-je ; pour long-temps ? — Pour toujours, s’il plaît à Dieu ! Je n’en sais rien, je ne fais pas de questions, mais j’étais dans le jardin par hasard quand il a fait ses adieux, et tout cela était froid comme une nuit de décembre. On s’est pourtant dit de part et d’autre à revoir. Mais quoique Edmée eût l’air bon et franc qu’elle a toujours, l’autre avait la figure d’un fermier qui voit venir la gelée en avril. Mauprat, Mauprat, on dit que vous êtes devenu grand étudiant et grand bon sujet. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit. Quand vous serez vieux, il n’y aura peut-être plus de titres ni de seigneuries. Peut-être qu’on vous appellera le père Mauprat, comme on m’appelle le père Patience, bien que je n’aie jamais été ni moine ni père de famille. — Eh bien ! où veux-tu en venir ? — Souvenez-vous de ce que je vous ai dit, répéta-t-il ; il y a bien des manières d’être sorcier, et on peut connaître l’avenir sans s’être donné au diable ; moi, je donne ma voix à votre mariage avec la cousine. Continuez à vous bien conduire. Vous voilà savant ; on dit que vous lisez couramment dans le premier livre venu. Qu’est-ce qu’il faut de plus ? il y a ici tant de