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MAUPRAT.

ses. Il faut avoir vécu au fond des bois, dans toute la rudesse des mœurs farouches, pour comprendre l’espèce d’effroi et de désespoir que j’éprouvai en me trouvant enfermé pendant plus d’une semaine entre quatre rideaux de soie. Le luxe de mon appartement, la dorure de mon lit, les soins minutieux des laquais, tout jusqu’à la bonté des alimens, puérilités auxquelles j’avais été assez sensible le premier jour, me devint odieux au bout de vingt-quatre heures. Le chevalier me faisait de tendres et courtes visites, car il était absorbé par la maladie de sa fille chérie. L’abbé fut excellent pour moi. Je n’osais dire ni à l’un ni à l’autre combien je me trouvais malheureux ; mais lorsque j’étais seul, j’avais envie de rugir comme un lion mis en cage, et la nuit, je faisais des rêves où la mousse des bois, le rideau des arbres de la forêt et jusqu’aux sombres créneaux de la Roche-Mauprat, m’apparaissaient comme le paradis terrestre. D’autres fois, les scènes tragiques qui avaient accompagné et suivi mon évasion, se retraçaient si énergiquement à ma mémoire, que, même éveillé, j’étais en proie à une sorte de délire.

Une visite de M. de La Marche augmenta le désordre et l’exaspération de mes idées. Il me témoigna beaucoup d’intérêt, me serra la main à plusieurs reprises, me demanda mon amitié, s’écria dix fois qu’il donnerait sa vie pour moi, et je ne sais combien d’autres protestations que je n’entendis guère, car j’avais un torrent dans les oreilles tandis qu’il me parlait, et si j’avais eu mon couteau de chasse, je crois que je me serais jeté sur lui. Mes manières farouches et mes regards sombres l’étonnèrent beaucoup ; mais l’abbé lui ayant dit que j’avais l’esprit frappé des évènemens terribles advenus dans ma famille, il redoubla ses protestations, et me quitta de la manière la plus affectueuse et la plus courtoise.

Cette politesse que je trouvais dans tout le monde, depuis le maître de la maison jusqu’au dernier des serviteurs, me causait un malaise inoui, bien qu’elle me frappât d’admiration ; car n’eût-elle pas été inspirée par la bienveillance qu’on me portait, il m’eût été impossible de comprendre qu’elle pouvait être une chose bien distincte de la bonté. Elle ressemblait si peu à la faconde gasconne et railleuse des Mauprat, qu’elle était pour moi comme une langue tout-à-fait nouvelle, que je comprenais, mais que je ne pouvais parler.