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n’est mieux pensé que les compositions de M. Aligny, rien n’est plus largement dessiné que les plantes de M. Marilhat ; rien de plus éclatant et de plus riche en couleur que les feuillées d’automne de M. Huet ; rien de plus précis et de plus net que les détails de M. Delaberge ; rien n’est plus naïf que le pinceau de M. Bodinier. Rien n’égale le charme de M. Cabat, la solidité de M. Isabey, la finesse, la fraîcheur de M. Roqueplan ; il est impossible d’imaginer une plus grande variété de manières. Ces artistes cependant sympathisent plus ou moins avec le Nord ou le Midi ; et bien qu’ils marchent à la conquête de la nature par cent chemins divers et par des sentiers qui leur sont propres, ils regardent plus ou moins le ciel brumeux de la Hollande, ou les lignes profondes et claires de la campagne de Rome. Nous commencerons par ceux qui abondent dans le sentiment du Poussin et se rapprochent le plus de son style et de sa manière.

M. Aligny a exposé cette année une belle composition antique c’est le Supplice de Prométhée sur le Caucase. Cette toile, qui rappelle dignement le Polyphême du grand maître, nous semble une des bonnes productions de M. Aligny. La tendre verdure et la fraîcheur des premiers plans contraste heureusement avec l’aridité et l’âpreté sauvage des roches du fond où le Titan expie son audace, sans toutefois que la composition perde de sa grandeur et de son unité. « Ô voûtes de l’éther, ô vents rapides qui soufflez autour de moi, sources des fleuves, flots innombrables des mers, terre immense et profonde, et toi, soleil dont les regards embrassent le monde entier, écoutez mes cris, voyez ce que les dieux font souffrir à un dieu. » Voilà la plainte gigantesque que le poète Eschyle prêtait jadis au Titan vaincu, et voilà bien encore ce que M. Aligny veut nous faire entendre. — Quels gémissemens profonds, et comme les filles de l’air, du fond de leurs retraites et de leurs vallons humides, écartent les branches des lauriers et écoutent avec terreur ! — Ce tableau est exécuté avec un soin et une exactitude de forme extrême. Plusieurs autres compositions du même auteur, tirées de l’Écriture sainte, telles que le Christ et la Samaritaine, et l’Apparition de Jésus sur le chemin d’Emmaüs, offrent aussi de grandes beautés de lignes. C’est bien la terre pierreuse et sèche de la Judée ; on sent que les études faites à Caprée et dans Ischia ont dû servir beaucoup au peintre pour lui donner le ca-