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SALON DE 1837.

Bataille de Tolbiac. Le premier n’est pas une composition historique d’après un fait de la vie du Christ, mais une composition symbolique et mystique dans le goût byzantin. Le Christ est au milieu, et autour de lui, de malheureuses victimes de tout sexe, de tout rang et de tout âge, qui lui tendent les bras : des soldats, des femmes, des mères, des poètes. Le profil du Tasse est beau, l’angoisse du jeune prisonnier est déchirante ; mais ce que nous trouvons de supérieur, c’est le profil d’une femme âgée, d’une mère qui regarde l’Homme-Dieu. Le dessin et l’expression de cette tête nous semblent d’une finesse et d’une vérité digne des peintures du Campo-Santo. Quant à la Bataille de Tolbiac, bien qu’il y ait dans ce tableau une âpreté toute sauvage de forme et d’expression convenable au sujet ; bien que le Clovis, sur son cheval noir, élève ses bras nus et jette au ciel son invocation avec une énergie barbare ; bien que la tête de l’écuyer qui tombe devant le chef franc, le sein percé d’un javelot, soit belle ; bien qu’il y ait dans la face pâle de ce jeune blessé, dans ses yeux où flottent les ombres de la mort, un sentiment virgilien qui contraste heureusement avec les figures rudes et anguleuses des autres soldats, cette composition laisse beaucoup à désirer sous le rapport de l’exécution. Il y a trop de maigreur dans les formes ; la couleur est terne, uniforme, et ne rappelle aucunement la fraîche et sanguine carnation d’un peuple du Nord. En vérité, les belles couleurs du tableau des Femmes souliotes ne sont plus sur la palette de M. Ary Scheffer. Où sont ces chairs vivantes d’enfans, ces tons ravissans qui brillaient sur la poitrine des femmes grecques, et ce lointain vaporeux, cette perspective où s’agitait la mêlée ? Où sont les beaux yeux bleus et les fraîches joues de Marguerite ? Ah ! tout a disparu devant le compas et la ligne froide du dessin. Sans doute, M. Scheffer a gagné quelque chose à réformer sa manière, mais peut-être a-t-il perdu aussi ? Son sentiment, qui se manifestait autrefois si vivement par la forme et la couleur, n’éclate peut-être plus maintenant que par le dessin tendre et suave des têtes souffrantes que son ame chaleureuse et mélancolique crée avec tant de charme.

M. Henri Scheffer, frère de M. Ary, a exposé un tableau de bataille. C’est la Bataille de Cassel, gagnée, en 1328, par Philippe de Valois sur seize mille Flamands. On ne retrouve pas dans cette toile la verve d’action et la chaude imagination de M. Delacroix ;