Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
REVUE DES DEUX MONDES.

lever son nom flétri et de conserver la fortune qui avait prospéré dans les mains de la branche cadette. Il avait essayé de remettre de l’ordre dans les affaires de son cousin Tristan, et plusieurs fois apaisé ses créanciers. Mais voyant que ses bontés ne servaient qu’à favoriser les vices de la famille, et qu’au lieu de déférence et de gratitude, il ne trouverait jamais là que haine secrète et grossière jalousie, il renonça à tout accord, rompit avec ses cousins, et malgré son âge avancé (il avait plus de soixante ans), il se maria afin d’avoir des héritiers. Il eut une fille, et là dut finir son espoir de postérité, car sa femme mourut peu de temps après d’une maladie violente que les médecins appelèrent colique de miserere. Il quitta le pays et ne revint plus que très rarement habiter ses terres qui étaient situées à six lieues de la Roche-Mauprat, sur la lisière de la Varenne et du Fromental. C’était un homme sage et juste, parce qu’il était éclairé, parce que son père n’avait pas repoussé l’esprit de son siècle et lui avait fait donner de l’éducation. Il n’en avait pas moins gardé un caractère ferme et un esprit entreprenant, et, comme ses aïeux, il se faisait gloire de porter en guise de prénom, le surnom chevaleresque de Casse-Tête, héréditaire dans l’antique tige des Mauprat. Quant à la branche aînée, elle avait si mal tourné, ou plutôt elle avait gardé de telles habitudes de brigandage féodal, qu’on l’avait surnommée Mauprat Coupe-Jarret. Mon père, qui était le fils aîné de Tristan, fut le seul qui se maria. Je fus son unique enfant. Il est nécessaire de dire ici un fait que je n’ai su que fort tard. Hubert Mauprat, en apprenant ma naissance, me demanda à mes parens, s’engageant, si on le laissait absolument maître de mon éducation, à me constituer son héritier. Mon père fut tué par accident à la chasse à cette époque, et mon grand’père refusa l’offre du chevalier, déclarant que ses enfans étaient les seuls héritiers légitimes de la branche cadette ; qu’il s’opposerait par conséquent de tout son pouvoir à une substitution en ma faveur. C’est alors que Hubert eut une fille. Mais lorsque cinq ans plus tard sa femme mourut en lui laissant ce seul enfant, le désir qu’avaient les nobles de cette époque de perpétuer leur nom l’engagea de renouveler sa demande à ma mère. Je ne sais ce qu’elle répondit ; elle tomba malade et mourut. Les médecins de campagne mirent encore en avant la colique de miserere. Mon