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SALON DE 1837.

puissans, ses lumières et ses ombres largement distribuées et contrastées ; le dessin est énergique, quelquefois hasardé, mais toujours dans le mouvement et le caractère de l’action. Qui pourrait au reste, dans un chaos pareil à celui-là, dans un emportement qui rappelle les chasses aux lions et les magnifiques combats des Amazones de Rubens, qui pourrait vouloir la rectitude absolue d’un bras ou d’une jambe ? Le système de M. Ingres, la peinture à quatre pas, n’est point applicable en ce lieu ; il suffit que l’artiste présente la possibilité naturelle des mouvemens et qu’il vous émeuve pour qu’il ait gagné sa cause ; c’est ce qu’a fait M. Delacroix. Ce tableau est d’un heureux augure pour l’avenir, il nous fait attendre impatiemment les ouvrages dont cet artiste s’occupe depuis long-temps à la chambre des députés.

M. Delaroche, plus contenu, plus précis, plus tourné vers le beau que M. Delacroix, nous semble moins doué du précieux don de l’individualité, et nous ne voulons d’autres preuves à l’appui de ce que nous avançons, que les deux morceaux les plus capitaux qu’il a exposés cette année, la Sainte Cécile et le Charles Ier. Dans l’un et dans l’autre, il y a beaucoup de talent ; mais certainement, on ne les dirait jamais sortis de la même main. Dans la Sainte Cécile, il y a une recherche de contour, une pâleur de couleur, telles que l’on croirait reconnaître la touche d’un élève de Giotto, tant soit peu rose et coquet. Le Charles Ier, au contraire, dénote, ce nous semble, l’intention de reproduire un tableau flamand avec toute sa puissance de ton et son fini de détails. Ce n’est pas la différence des sujets que nous blâmons, c’est le peu de fraternité qu’ils nous paraissent avoir entre eux. Rembrandt et Rubens ont travaillé sur les sujets les plus divers, ils ont peint des anges et des suppliciés ; mais tous sont animés du même souffle et traités dans le même style. À part cette métamorphose trop grande du talent de M. Delaroche, en deux peintures d’une même année, nous reconnaissons pleinement le droit qu’elles ont de frapper l’attention publique. M. Delaroche est peintre d’histoire avant tout, et la composition paraît être une de ses principales qualités. C’était une belle idée que la flagellation de la royauté, et la forme qu’elle a revêtue, la forme choisie en Angleterre, pays que l’auteur affectionne, était on ne peut plus favorable à la peinture. Le roi Charles, résigné sous l’outrage du puritain, qui lui souffle une bouffée de