Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
REVUE. — CHRONIQUE.

jouer la reine Clotilde, elle ne changerait ni le corsage, ni la jupe qui lui ont servi pour Mlle de La Chausseraie. Est-ce que l’auteur d’une pièce n’a pas le droit d’exiger que ses personnages soient vêtus d’après les données de l’histoire ?

Le choix des décorations mérite d’être signalé. Celle du premier acte n’était pas précisément dans le style de Louis XIV ; mais comme elle rappelait la première moitié du xviiie siècle, à la rigueur elle était acceptable. Celle du second acte était moitié Louis XVI, moitié consulat ; l’alliance est heureuse. Enfin celle du troisième acte était pure renaissance. Comment expliquer cette étonnante variété ? Est-ce ignorance, caprice, ou économie ? L’ignorance n’est pas permise aux hommes chargés de savoir quelque chose ; le caprice n’est pas une méthode d’administration ; quant à l’économie, nous ne croyons pas qu’elle autorise un théâtre qui reçoit 200,000 francs de subvention à lésiner sur les décorations d’une pièce nouvelle. On nous assure que M. Vedel veut justifier la confiance de MM. les comédiens ordinaires du roi par une activité sans exemple, et qu’il se propose de régénérer ou plutôt de ressusciter la tragédie ; c’est une louable intention. Mais le nouveau directeur fût-il capable de nous rendre Cinna et Britannicus, le Cid et Andromaque, il serait encore de son devoir de connaître la date d’un plafond.

G. P.


— Les Lettres sur l’Islande, que la Revue des Deux Mondes a publiées successivement, viennent de paraître en volume, recueillies et augmentées. Quoique nous n’ayons point ici à faire l’éloge d’un collaborateur et d’un ami, qu’il nous soit permis de rappeler aux lecteurs l’importance de cette littérature qui se rattache à l’Islande, et aussi de remarquer la façon intéressante et modeste dont M. Marmier a abordé ce savant sujet. La littérature qui s’est conservée en Islande et que nous représentent les deux Eddas, a été celle du nord même de l’Europe, qu’elle se partageait avec la vieille littérature germanique. Cette littérature scandinave, de plus en plus refoulée par le christianisme, n’a trouvé de dernier refuge qu’aux confins du monde habitable, et elle s’y est gardée au sein des glaces sans dépérir ni se corrompre, à peu près comme on retrouve des corps de grands éléphans en Sibérie. Le sujet est donc d’un intérêt bien autrement général que le nom d’Islande ne semble l’indiquer. Cette littérature, objet, dans le Nord, de si savans travaux, n’était encore connue chez nous que par les excellentes, mais brèves analyses de M. Ampère et par quelques articles de M. d’Ekstein. M. Marmier contribue aujourd’hui, pour sa part, à étendre cette connaissance, et il la fait vivre, il la fait aimer. Il n’a voulu rien découvrir, rien annoncer d’inconnu avant lui ; il a voulu se mettre sérieusement au fait des travaux des érudits du Nord, et s’inspirer de cette poésie elle-même dans la terre sauvage des poètes. Il a su raconter, animer tout cela, dans des analyses et des récits à la fois fidèles et pleins d’une émotion où éclate le vrai sentiment de son sujet et tant d’autres sentimens d’un cœur aimable et honnête, Ces let-