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REVUE. — CHRONIQUE.

celle qui lui succéderait. On a dit que l’opposition voulait piquer l’amour propre des ministres, jeter entre eux une jalousie de pouvoir et de talent. C’est au ministère à se défendre contre ces tentatives, qui ne seraient pas nouvelles ni neuves, on peut le dire ; et il serait d’autant moins excusable d’y succomber, que jamais il n’y eut moins de sujet de rivalité entre deux hommes. Qu’ont de commun l’aménité, la science des affaires, la grande fortune et tous les avantages de M. le comte Molé, avec le talent de parole et les connaissances philosophiques de M. Guizot ? En quoi l’une de ces notabilités peut-elle offusquer l’autre ? et, au contraire, combien n’auraient-elles pas pu s’entr’aider par leur caractère si divers, on peut dire si opposé ? Mais, pour se soutenir, il fallait s’entendre ; or est-il toujours bien facile de s’entendre avec M. Guizot ?

Nous avons dit que les capacités spéciales ne manquent pas dans ce ministère. M. Molé, M. Duchâtel, M. Guizot, le vice-amiral Rosamel, s’y trouvent appliqués aux objets de leurs constantes études. Le général Bernard aux travaux publics et au commerce, M. de Montalivet à l’intérieur, et le maréchal Soult à la guerre, s’il eût été possible de le satisfaire, complétaient cette réunion d’hommes spéciaux. Au milieu d’un tel ministère, M. Guizot et ses amis se seraient trouvés à l’abri des accusations qui pleuvent sur eux chaque jour ; leurs idées politiques, fortifiées du talent du chef, eussent trouvé plus d’une occasion d’y prévaloir ; mais elles en seraient sorties, à l’heure de l’application, heureusement modifiées par les élémens qui devaient les entourer, et dépouillées de ces formes acerbes qui leur ont nui si souvent, même dans les chambres. Une autre accusation, qui n’a pas moins nui dans la chambre au ministère, ou plutôt à une partie du ministère, serait tombée alors d’elle-même. On eût cessé de regarder comme les organes secrets du cabinet, certains orateurs et certains écrivains, lesquels ressemblent un peu au démon familier d’une vieille ballade, qu’un sorcier inexpérimenté avait évoqué pour venir laver sa maison, et qui la voyait submergée, faute de puissance pour retenir le zèle de son serviteur. Aujourd’hui, M. Guizot s’arrête à l’idée de former un ministère et d’appliquer lui-même ses idées de gouvernement, en mettant sur table tout ce qu’il a de réputation, de fortune politique et d’avenir. À la bonne heure, c’est une résolution digne de son courage ; en adversaires loyaux, nous lui souhaitons qu’il l’exécute, si la chambre y consent toutefois, si elle ne craint pas que le pays, ne mettant aussi tout au jeu de son côté, la partie ne devienne trop inégale. Cependant, n’en déplaise à celui qui a dit : Ce qu’il y a dans ce ministère, ce sont des hommes courageux et des poltrons, n’en déplaise à M. Guizot, et il le verra plus tard sans doute, les hommes courageux ne sont pas ceux qui grossissent les partis dans leur imagination, à force d’en avoir peur, et qui