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marchent seuls en avant, et s’avancent vers les siècles futurs en tenant tout de leur génie comme un conquérant de son épée.

Telle est l’idée que nous nous faisons des deux grands zoologistes du xviiie siècle ; tel est le caractère que nous avons cru trouver empreint dans leurs ouvrages. Si maintenant nous essayons de dire quels pas chacun d’eux a fait faire à la zoologie, ici encore nous aurons à protester contre ces jugemens faux ou incomplets que les naturalistes de notre époque ont hérités et acceptés de la génération à laquelle ils succèdent.

Les ouvrages de Linnée ont été vivement admirés, nous dirons même trop admirés, car l’admiration s’est quelquefois exaltée jusqu’au fanatisme exclusif et jusqu’à l’injustice envers Buffon ; mais ni cette admiration, ni les critiques sévères par lesquelles plusieurs l’ont tempérée, ne se sont jamais adressées à l’œuvre tout entière accomplie par Linnée. La conception grandiose et neuve alors d’un catalogue général et méthodique de toutes les productions de la nature ; son exécution si supérieure aux tentatives partielles de Ray ; la création de la nomenclature binaire, admirable invention qui permet de dénommer tous les êtres des deux règnes organiques sans multiplier à l’infini le nombre des mots, qui introduit dans toutes les parties de la science un ordre uniforme, et fournit en même temps la plus heureuse et la plus simple expression des affinités naturelles les plus fondamentales ; l’art, pour la première fois mis en usage, de caractériser rigoureusement, de définir les êtres, et de déterminer d’une manière fixe et exempte d’arbitraire le rang que chacun d’eux doit occuper dans la série ; en un mot, des formes nouvelles, des principes nouveaux, une langue nouvelle, donnés en même temps et pour toujours à la science : telle est la révolution immédiatement accomplie par Linnée en zoologie comme aussi en botanique, et qui a fait aussitôt de tous les naturalistes du monde, Buffon et quelques autres exceptés, les admirateurs et les disciples de Linnée. Et cependant ce n’est pas encore là Linnée tout entier. Indépendamment de ses autres ouvrages, riches de tant de vues fécondes sur la zoologie générale, et sans franchir les limites de ce livre si peu volumineux et cependant si immense, le Systema naturoe, un autre progrès, une autre innovation capitale est encore à signaler : l’invention de la méthode