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le prince de ses philosophes ; Aristote se serait immortalisé par ses seuls travaux sur la poétique, sur la rhétorique, sur la politique, sur la physique et l’astronomie, mais surtout sur l’anatomie. Ainsi ce grand homme offre bien, par l’universalité de ses connaissances, le caractère commun de tous les esprits éminens de son siècle et des siècles précédens : mais, chez lui, l’universalité n’exclut pas la profondeur. Si, lors de l’invasion des barbares, dans ce grand naufrage de la civilisation antique qui a englouti tant et de si beaux monumens des temps passés, le nom et le souvenir d’Aristote eussent été effacés de la mémoire des hommes, le recueil de ses ouvrages eût été pris sans doute par la postérité pour une vaste encyclopédie, écrite en commun par l’élite des littérateurs, des philosophes et des savans de l’une des plus grandes époques de la civilisation grecque : tant on trouve partout, dans cette œuvre étonnante, de notions précises et certaines ; tant les idées y sont complètes et arrêtées ; tant l’auteur, si l’on peut s’exprimer ainsi, s’y montre partout spécial. Dans ses œuvres zoologiques en particulier, et il ne nous appartient pas de le suivre ici hors du cercle de la zoologie, non-seulement Aristote expose une multitude de faits, les uns sur les formes extérieures et l’organisation interne, les autres sur les mœurs des animaux ; non-seulement ces faits sont analysés dans leurs circonstances principales, et discutés avec une sagacité et un scepticisme critique jusque-là sans exemple ; mais la généralisation, ce caractère essentiel des travaux de l’époque la plus avancée de la science, vient souvent compléter l’exposition des faits. Quelquefois même elle s’élève à une telle hauteur que, dépassant la zoologie et l’anatomie comparée ordinaires, ses conséquences remontent jusqu’aux vérités abstraites de la zoologie et de l’anatomie philosophiques, jusqu’à la notion elle-même de l’unité de composition organique, cette conquête toute récente encore, inachevée même, de l’esprit humain.

Aristote est donc un de ces hommes à part qui n’ont de rang que dans l’histoire chronologique de la science, non dans son histoire philosophique. Du sein de la première période de la science à laquelle ses écrits appartiennent par leur date, Aristote s’avance au loin vers l’avenir ; et, par un privilége accordé à lui seul entre tous, vingt et un siècles et demi après sa mort, il se trouve