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LETTRES SUR L’AMÉRIQUE.

de Québec, nous bâtissions Montréal, nous fondions la Nouvelle-Orléans et Saint-Louis, et, çà et là, nous défrichions les riches plaines de l’Illinois. De l’Amérique du Nord, nous possédions alors la portion la plus fertile, la plus belle, la mieux arrosée, la mieux taillée pour recevoir un superbe empire en harmonie avec nos sentimens d’unité. Nos ingénieurs, avec une sagacité qu’aujourd’hui les Américains admirent, avaient marqué par un fortin les positions les plus propres à recevoir de grandes villes. C’est ainsi que notre drapeau flottait à Pittsburg (alors Fort Duquesne), à Détroit, à Chicago, à Érié (alors Presqu’île), à Kingston (alors Fort Frontenac), à Michillimackinac, à Ticondéroga, à Vincennes, au fort de Chartres, à Péoria, à Saint-Jean, tout comme dans les capitales du Canada et de la Louisiane. Alors notre langue pouvait prétendre à être la langue universelle. Le nom français avait alors de belles chances pour devenir le premier, non-seulement, comme celui des Grecs, dans le monde des idées, par la littérature et les arts, mais aussi, comme le nom romain, dans le monde matériel et politique, par le nombre des hommes qui eussent été fiers de le porter, par l’immensité du territoire que sa domination eût couvert. Louis XIV, aux jours de son apothéose, dans l’olympe qu’il s’était bâti, rêvait ce noble avenir pour son peuple et pour sa race. Dans l’exaltation d’un sublime orgueil, il croyait lire ces triomphes sur les pages du Destin. Il ne nous reste plus à nous, qui ne sommes séparés de lui que par un siècle, il ne nous reste plus, hélas ! que des regrets amers et impuissans. Les Anglais nous ont chassés à toujours, non-seulement d’Amérique, mais aussi des Indes-Orientales, où le grand-roi nous avait aussi installés. Nos descendans du Canada et de la Louisiane se débattent vainement contre le déluge britannique qui les ensevelit. Notre idiome se noie dans le même débordement ; les noms mêmes de notre ville et des régions que nous avions explorées se défigurent dans l’âpre gosier de nos heureux rivaux, et se teutonisent au point d’être méconnaissables. Nous avons oublié nous-mêmes qu’il fut un temps où nous pouvions prétendre à devenir les rois du Nouveau-Monde. Nous n’avons plus souvenance des hommes généreux qui se dévouèrent pour nous en assurer la domination. Pour que le nom de l’héroïque La Salle ne pérît pas, il a fallu que le congrès américain lui érigeât un petit monument dans la rotonde du Capitole, entre