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lousie de M. de Rovère sa disparition du domicile conjugal ? Plutôt que de se justifier en révélant la cause de son absence, elle souffre qu’on l’accuse d’adultère. Son mari obtient contre elle le divorce ; après quoi il meurt de chagrin. Mme Dupin avait besoin de dissoudre aussi le mariage de Tanneguy : Everard est employé de nouveau à séduire Clémence ; seconde séduction qui amène un second divorce, d’où résulte la mort de la comtesse d’Argèles, comme pendant de celle de M. de Rovère. Vous voyez que les dévouemens de Marguerite ne tournent pas à bien. Attendez ; vous n’êtes pas au bout du mal qu’ils feront.

Après l’intervalle du double deuil, vous retrouvez dans le salon de la duchesse d’Estilly Marguerite et Tanneguy, divorcés et veufs l’un et l’autre. Ils sont libres maintenant. La calomnieuse sévérité du monde n’empêchera pas leur union. Le comte d’Argèles se dévoue à son tour. Il épouse celle qu’il aime et dont il sait l’innocence, se croyant la force de mépriser pour elle et pour lui l’opinion. Il avait trop présumé de sa philosophie. Sa femme est accablée de dédains et insultée en un bal où il l’a conduite. Tanneguy se fait tuer en duel pour la venger.

On aurait tort de conclure de Marguerite que le dévouement est maladroit, abusif, qu’il porte malheur. Certainement Mme Dupin n’a pas proposé cette inutile leçon d’égoïsme vulgaire, qu’on suit généralement par instinct et sans préceptes. On ne voit pas bien nettement ce qu’enseigne son livre. Nous supposons qu’elle a voulu montrer que notre prétendue civilisation est barbare, que la société est féroce la plupart du temps, et inconséquente dans ses absolutions et dans ses censures. De toute façon, Mme Dupin aurait dû mieux indiquer la morale de sa fable.

Le défaut capital de cet écrivain, c’est son irrésistible penchant à l’imitation de ce qu’il admire. Ses personnages ne vivent pas de leur propre vie, mais uniquement de celle de certains types excentriques créés par le génie moderne. Était-il bien nécessaire que l’héroïne Marguerite fût drapée constamment en Lélia ? Ne conviendrait-il pas qu’au lieu de penser éternellement comme Obermann, elle pensât un peu plus comme une jeune fille simple, honnête et courageuse qui se sacrifie à l’amitié ? Il en est de même du style ; ce n’est le plus souvent qu’une parodie de l’admirable langue de Volupté

Il est un autre léger reproche que nous rougissons de formuler. Dieu nous garde de rien préciser, et de mettre ici le doigt sur les choses ! Mais, nous le demandons tout bas à Mme Dupin, n’y a-t-il pas dans son livre certains détails amoureux dont il eût été prudent d’adoucir la vivacité ? Encore une fois, nous disons cela bien bas. Il serait plaisant qu’on nous entendit rappeler à l’ordre la pudeur d’une dame.

Nous craignons fort que Picciola, de M. Saintine, ne soit l’erreur