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système financier, rendent bien à peu près toute concussion impossible aux ministres. On n’entend pas dire, on ne soupçonne même pas qu’aucun d’eux se soit secrètement enrichi lui-même en exploitant sa position. Au contraire, les hautes places du gouvernement, par la représentation qu’elles imposent et le médiocre salaire qui les récompense, sont plutôt des charges que des bénéfices. Mais, en compensation, nos ministres se sont toujours montrés fort prompts à mettre la main sur tout ce dont ils pouvaient légalement s’emparer au profit de leurs enfans, de leurs amis et de leurs parens. Le même homme qui frémirait à l’idée de détourner induement un shelling du trésor public, établit et pensionne sans remords ses fils, ses frères, voire même les femmes de sa famille, aux dépens des coffres de l’état. C’est, dans notre forme de gouvernement, l’extrême instabilité du pouvoir qui rend peut-être irrésistible cette tentation d’employer vite à doter les siens les courts momens qu’il peut durer.

Du reste, il est bon de remarquer que les ministres qui ont déployé le plus d’énergie politique, et qu’on a le plus généralement accusés d’ambition immodérée, ont été justement le moins enclins à abuser de leur autorité dans un égoïste intérêt de clientelle. Un homme qui gouverna le pays pendant près de vingt années, et prodigua, plus que libéralement, les millions à l’appui de son système obstiné, Pitt, mourut pauvre et dénué, sans avoir enrichi ou placé un seul membre de sa famille. Canning mérite qu’on lui rende une pareille justice.

Au contraire, c’est aux ministres les plus faibles qu’on a principalement reproché le népotisme. La magnificence de lord Grey en faveur des siens passa toutes les bornes. Fils, gendres, parens éloignés, tous furent investis d’emplois civils, casés dans l’armée et dans la marine, tous splendidement gratifiés sur les fonds de l’état. On a calculé que la famille Grey a pu tirer annuellement, des caisses publiques, de 80 à 100,000 livres sterling. En supposant que les ennemis du ministre aient largement grossi la somme, il y a néanmoins, malgré leurs exagérations, des faits positifs, et qui parlent d’eux-mêmes.

En 1834, la vieille couleur aristocratique du ministère commença de s’effacer rapidement. C’était toujours, nominalement, l’administration de lord Grey ; mais, de fait, c’étaient des réfor-