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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

La mort de Perceval, assassiné en 1812, détermina le régent à faire des ouvertures aux lords Grey et Grenville. Les rênes du gouvernement étaient sur le point de passer aux mains du parti libéral. Le prince consentait à modifier l’esprit qui dirigeait la guerre ; il acquiesçait à l’émancipation des catholiques ; il accordait la plupart des concessions politiques qu’on exigeait de lui. Lord Grey demanda davantage ; il voulut contraindre le régent à renvoyer les grands-officiers tories de sa maison. Le prince refusa ce sacrifice. Toute négociation avec les whigs fut de nouveau rompue. On se demandera peut-être lequel des deux montrait le plus de petitesse d’esprit, ou du prince qui, dans des circonstances politiques graves, repoussait des conseillers populaires, afin de garder autour de sa personne quelques favoris, ou du ministre qui, pouvant conduire lui-même les destinées de la nation, les abandonnait à ceux qu’il accusait journellement de la mener à sa ruine, et cela, pour se venger de quelques ennemis politiques sans importance ?

Pendant les dix-huit années qui suivent, lord Grey s’en tient au rôle honorable et désintéressé de chef de l’opposition whig dans la chambre des pairs. Il était plus propre à briller au milieu de cette assemblée aristocratique que parmi les représentans du peuple. C’est surtout la grandeur de ses manières, sa haute rectitude morale, la fermeté de son caractère, l’imposante dignité de sa personne, c’est sa voix, c’est son air, qui lui ont valu la réputation générale de grand orateur dont il jouit, bien qu’il lui manque plusieurs des sources de la véritable éloquence. On ne peut nier d’ailleurs que, lorsqu’une juste indignation l’anime, quand l’occasion lui permet de témoigner ses réprobations consciencieuses et de prendre ce ton de sarcasme solennel qui caractérise principalement sa manière, il ne réalise en partie l’idée qu’on se fait de Caton ou de Thraseas au sénat romain. Jamais il ne parut plus grand que dans sa défense de la reine Caroline. Il avait chaleureusement embrassé sa cause, il mit une énergique persévérance à la soutenir, et cependant il n’oublia pas un seul moment qu’il demeurait juge, tout en se faisant avocat.

Si l’on considère chez lord Grey l’homme politique, il faut reconnaître son audace et sa constance ; on ne saurait lui accorder l’élévation et la largeur des vues. Il y a peu d’hommes publics