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BÂLE.

frère, et Daniel Bernouilli, fils de Jean, ont laissé des monumens impérissables. Il faut dire aussi que rien ne leur manqua de ce qui ouvre la carrière aux grands génies. Jacques et Jean eurent à souffrir les persécutions de leurs parens, qui espéraient avoir pour fils des ministres ou des négocians, et qui s’indignèrent de n’avoir que deux grands hommes. Ce fut même en souvenir de ces premiers obstacles que Jacques Bernouilli prit pour devise le magnifique emblème de Phaéton conduisant le char du soleil avec ces mots : Invito patre sidera verso. Quant à Daniel, ses commencemens furent encore plus pénibles. Son père ayant consenti à lui donner quelques leçons, il pénétra dans les études mathématiques avec une intelligence qui semblait lui venir du cœur. Le désir de satisfaire son maître lui rendait tout facile ; mais loin que celui-ci lui tint compte de ses efforts, il se montrait plus sombre, plus brusque, plus mécontent, à mesure que l’élève approchait du but. Désespéré, et voulant à tout prix reconquérir une affection dont il avait besoin, Daniel s’empara secrètement d’un problème que son père avait essayé vainement, et sa volonté vertueuse faisant un miracle, il le résolut. Tout tremblant d’émotion et de joie, il vint porter son travail à son père ; mais à peine celui-ci y eut-il jeté les yeux qu’il pâlit ; il regarda long-temps les calculs de son fils et sortit sans rien dire. Depuis ce jour il n’adressa à Daniel ni un mot tendre ni un regard affectueux ; la science avait vaincu la nature, et Jean Bernouilli n’avait plus de fils, il n’avait qu’un rival. La chose n’apparut que trop clairement peu après. En 1734, l’Académie des sciences ayant proposé pour prix la théorie des inclinaisons des planètes, deux mémoires se trouvèrent d’un mérite égal : on décacheta les lettres closes qui contenaient les noms des auteurs, c’étaient Jean et Daniel Bernouilli. On déclara donc que le prix serait partagé entre le père et le fils. À cette nouvelle, Jean furieux fait venir Daniel, et lui montrant la lettre du secrétaire de l’Académie : — Monsieur, lui dit-il, vous m’avez manqué de respect en osant concourir avec moi ; vous êtes un ingrat, et tout est fini entre nous. Le jeune homme voulut en vain se défendre, il eut en vain recours aux supplications les plus tendres, la jalousie avait soudé les portes de ce cœur orgueilleux, et les prières n’y entraient plus.

Bâle est aussi la patrie d’Euler, ce Voltaire mathématicien qui toucha à tout, essaya tout, réussit en tout, et dont les travaux suffirent pour entretenir seuls pendant quinze ans le Journal de l’Académie, dont il était président. L’université de Bâle, sur laquelle les découvertes d’Euler et celles des Bernouilli jetèrent pendant long-temps un si grand éclat, n’a point su conserver le glorieux héritage qui lui avait été laissé, et sa réputation semble décroître chaque jour. Le seul de ses professeurs dont le nom ait dépassé les frontières de la république, est le pasteur Vinet, qui,