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La moquerie méchante de ces femmes du monde chez la baronne de Trün, lorsque Arthur essaie d’aller s’y distraire, est peinte comme nul de nos jours ne le ferait. M. de Balzac, qui a sur ces points tant de qualités et de parties d’observation heureuse, devra admirer cette sobriété, cette précision de trait qui est le goût exquis du genre. De ce château de la baronne de Trün, Arthur se réfugie au rivage de Normandie, à quelque auberge de la côte, non loin de cette forêt solitaire qu’il se mettra bientôt à embellir et à créer comme demeure. Ici commencent des tableaux naturels merveilleusement saisis. Je recommande la lettre v, d’Arthur à Louise de…, comme un de ces paysages, une de ces marines normandes franches, légères, transparentes, tout-à-fait enlevées.

La circonstance mystérieuse et pourtant naturelle qui fait qu’Arthur retrouve Julie et son enfant, introduit le léger intérêt romanesque qui, avec la conversion, compose la seule action de ce livre où pourtant l’attrait ne cesse pas.

L’histoire de Julie, de la femme de chambre, en rappelant à ceux qui l’ont lu le joli et pathétique roman d’Adèle, de Nodier, s’en distingue par cette réalité, cette clairvoyance constante d’observation et de récit, que la passion traverse mais ne rompt pas. Comme l’intérieur de la mère de Julie, de ces petites maisons élégantes et fragiles, est touché avec relief, avec émotion, et par quelqu’un qui les a trop vues !

Il faudrait transcrire (car sans cela je n’ose assez le louer) le récit d’Arthur, lettre xi, ce départ en automne par un temps triste, sur une route boueuse, ces misères du cantonnier qui casse son caillou du matin au soir, ces juremens et ces coups de fouet du roulier, ce réveil hideux d’une diligence qu’on rencontre, toute cette saleté, ce dégoût, cette nausée du mal dont est saisi l’oisif et le voluptueux, lui-même dévoré dans son cœur. Ces pages-là, si vraies de couleur et de sentiment, sont surtout belles par la philosophie élevée où elles aboutissent : cela commence par l’aquarelle et finit par le rayon d’Emmaüs.

Oh ! oui, Arthur a raison : tout est souffrant, tout est mauvais, tout est corrompu, les uns plus tôt, les autres plus tard, chacun à sa manière ; la vue même du mal rend mauvais, la simple connaissance de la corruption corrompt, quand on n’a pas l’aromate immortel.