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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

y a toutes sortes de graces dignes du dix-septième siècle, de Bussy-Rabutin, moins bel-esprit et plus poète, et racontant à ses fils ses erreurs, son retour, avec repentance, avec goût ; il y a beaucoup du vicomte de Valmont, qui serait sincèrement devenu chrétien.

Les lettres de Mme d’Émery sont de dignes sœurs de celles de la marquise de Merteuil, mais cela si naturellement arrêté à temps, si bien coupé de conclusions et de remarques morales, utiles, pénétrantes ! L’ironie est tout juste assez pour montrer combien ce converti, ce cœur dévot et tendre, sait le monde, combien il était remuable à ses moindres souffles ; et s’il y a vengeance ou coquetterie à lui à faire connaître qu’il le sait si bien et que, s’il pardonne les malices, ce n’est pas qu’il les ignore, cette coquetterie, cette vengeance est bien fine et bien vite passée, et fait à la lecture un délicieux contraste avec l’onction qui d’ailleurs déborde.

Arthur nous raconte son enfance, la maison paternelle, celle de son oncle curé, mais sans puérilité, sans s’appesantir. La Terreur est touchée en quelques grands traits : Bonaparte et le Consulat éblouissent en passant ; on voit sous quels rayons, sous quels romanesques prestiges ces souvenirs historiques se sont reflétés et nuancés dans une adolescence si vive où toutes les parties non sévères se hâtaient d’éclore. Dans un roman dont je n’ai pas parlé, et que M. Guttinguer avait publié vers 1828, Amour et Opinion, les mœurs de l’époque impériale, celles de 1815, étaient déjà bien exprimées : élégie de fin d’empire, écrite par un ex-garde d’honneur, où les personnages sont de beaux colonels et des généraux de vingt-neuf ans, de jeunes et belles comtesses de vingt-cinq ; où la scène se passe dans des châteaux, et le long des parcs bordés d’arbres de Judée et de Sainte-Lucie : en tout très peu de Waterloo. — Mais Arthur est le vrai, le seul roman de M. Guttinguer, et dispense de lire l’autre.

Arthur marié, puis veuf et libre avec une grande fortune, devient la proie d’une passion qu’il ne fait qu’indiquer en éclairs énergiques, sinistres, d’une de ces passions tardives dont Properce disait :


Sæpe venit magno fœnore tardus Amor,


et qui le laisse dans un état de consternation et de ruine morale, sujet de ce livre : nous assistons aux diverses phases de la réparation, de la guérison.