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LE MAROC.

Le moment de notre départ était arrivé. Au lieu de revenir sur mes pas, j’aurais voulu aller directement à Ceuta, pour regagner de là la côte d’Espagne. Cela ne fut pas possible. Une barque chargée d’oranges devait bien partir le lendemain, mais le patron avait l’ordre du gouverneur de Ceuta de ne recevoir à son bord aucun passager. D’ailleurs le voyage était peu attrayant. La mer était grosse, le vent mauvais, et la barque, non pontée, si étroite et si encombrée, qu’à peine aurais-je pu m’y tenir assis. J’avais en perspective, toutes choses allant au mieux, une traversée, c’est-à-dire une agonie de vingt-quatre à trente-six heures.

Il me restait la voie de terre ; mais le bacha me refusa l’escorte nécessaire. Pour aller de Tétouan à Ceuta, je devais sortir de son gouvernement et rentrer dans celui du kaïd de Tanger ; celui-ci pouvait donc seul me donner la licence et l’escorte que je réclamais : quant à lui, Achache, il n’en avait pas le droit ; cela, disait-il, dépassait ses pouvoirs. Repoussé des deux côtés, il fallut bien me résigner à retourner à Tanger.

Le jour du départ, je fus réveillé avant le jour par l’empressé Bendélacq, et j’entendis long-temps la voix du muedzin chanter sur les minarets. Si je ne me conformai pas à l’invitation du vieillard sacré, en invoquant le prophète, je n’en fis pas des vœux moins fervens pour que Dieu me tirât sain et sauf du pays des Barbares, et me rendît à ma vieille Europe dans le plus court délai. J’étais las de tant de misères et d’abjection. Ces mosquées, ces minarets, ces costumes qui m’avaient frappé au débarquement, n’avaient plus pour moi le prestige de la nouveauté ; l’habitude m’avait familiarisé avec eux. Je savais des mœurs africaines tout ce que j’en voulais savoir ; je n’avais plus rien à faire dans cette déplorable contrée. Un voyage à l’Atlas m’eût souri, mais il était impossible ; il fallait se contenter d’admirer de loin la tête du géant fabuleux.

À l’aube, je montai sur la terrasse pour reconnaître le temps ; la mer était terne, le vent humide ; de grandes nuées noires se traînaient sur le mont que nous devions traverser. Cependant le ciel s’éclaircit un peu, les sinistres présages parurent se dissiper, nous partîmes. Notre garde était le même officier qui nous avait escortés pendant notre séjour à Tétouan. La connaissance était