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LE MAROC.

d’aventure. Il aime le péril autant que l’argent, et les émotions de la guerre ont plus de douceur pour lui que celles de l’avarice. Nous avons vu, par l’exemple des deux contrebandiers exécutés à Tanger, qu’ils jouent leur tête à ce jeu de hasard. Tout contrebandier est puni de mort sans rémission, comme coupable de lèse-majesté ; on en décapite autant qu’on en prend. Il est triste que l’Afrique doive à l’Europe ce nouveau genre de délits. Il serait à désirer, pour l’honneur du monde occidental, qu’il donnât de meilleurs exemples à ses cadets en civilisation.

Le Riffain porte son ame sur ses traits. Comme je sortais de la ville le matin, pour descendre à la marine, j’avais rencontré un de ces sauvages, dont la vue m’avait frappé, et qui m’est resté dans la mémoire comme un type fidèle de sa race. C’était un homme d’une taille médiocre, mais bien pris et vigoureux : il portait une courte tunique pour tout vêtement ; le reste du corps était nu ; sa tête était entièrement rasée, à l’exception d’une longue mèche de cheveux noirs, qui de l’occiput tombait fouettée par le vent jusqu’au-dessous des reins. La couleur de sa peau cuivrée flottait entre le rouge et le brun. Je n’ai jamais vu de physionomie plus fière et plus décidée. Son œil, quelque peu oblique, brillait d’un feu sinistre, mais intrépide, et sa lèvre arrogante annonçait l’audace et la résolution. Deux rangs de dents blanches et serrées donnaient à sa bouche quelque chose de la bête fauve : du reste, les régions supérieures de la tête étaient déprimées, le nez légèrement épaté, et le menton effilé. Son pied ferme et nu posait par terre comme le sabot d’un cheval et se relevait de même.

Le hardi montagnard portait sur l’épaule un fusil plus long que lui, et un poignard pendait sur sa poitrine comme un agnus. Il tirait derrière lui par la bride une mule caparaçonnée de laines de toutes couleurs et chargée de je ne sais quelle marchandise qu’il venait d’acheter à Tétouan. Il sortait de la ville pour regagner sa montagne et il passait la porte en même temps que nous. Il jeta sur la caravane infidèle un regard de haine et de mépris, et quoique le passage fût étroit, il ne se dérangea point ; nous dûmes pousser nos chevaux contre lui, pour le forcer à nous faire place. Sa colère tomba sur un juif qui ne se déplaçait pas assez promptement pour lui laisser le chemin libre. D’un coup de pied il le jeta au bord de la route. Il nous suivit long-temps avec une