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pelèrent, pour la disposition, ceux de la juiverie, mais ils s’en distinguaient par plus de luxe et d’élégance. La pièce principale, celle où l’on reçoit les étrangers, était couverte de tapis, et pourvue, aux extrémités, de deux lits fort bas, garnis en soie rouge ; des carreaux de même couleur étaient dispersés çà et là pour la commodité des visiteurs : les parois, tapissées comme le sol, étaient ornées, en guise de tableaux, de fusils, de poignards, de bouteilles de verre, d’ustensiles de toute espèce. Cette pièce était longue, étroite, et, à l’exception d’une petite fenêtre haute et carrée, qui laissait passer à peine quelques rayons de lumière, elle ne recevait de jour que par la porte. Toutes les pièces donnent sur une galerie qui fait le tour de la maison.

L’approche du harem, mot qui veut dire, en arabe, lieu sacré, nous fut soigneusement interdite. C’était la seule chose qui excitât ma curiosité. Mais ayant laissé mes gants dans le salon, je revins seul les chercher ; et comme je me baissais pour les ramasser, je vis quelque chose se mouvoir sous un des lits : c’était une des femmes du maître de la maison qui s’était blottie là comme une chatte, pour nous voir sans être vue. Quand elle s’aperçut qu’elle était découverte, la pauvre recluse fut saisie d’une grande peur ; il y allait pour elle de son avenir, car tout mari mahométan a droit de répudier la femme qui a paru le visage découvert devant un homme, surtout devant un infidèle. En vain la suppliai-je par signes de sortir de sa cachette ; elle se garda bien d’en rien faire ; et je dus me contenter de la vue de deux beaux yeux noirs et d’un kaftan rouge. Cette scène, d’ailleurs, ne dura pas long-temps. Le beau-frère revint sur ses pas et rompit le tête-à-tête. Je le rejoignis sans laisser paraître le moindre trouble ; la belle effrayée en fut quitte pour la peur.

Notre visite terminée, nous recommençâmes à errer dans la ville, et nous allâmes tomber au milieu d’un grand tas de décombres. C’est l’ancien Millà. Les juifs l’habitèrent long-temps avant d’être transférés dans la partie de la ville qu’ils occupent aujourd’hui. Depuis la translation, leur ancien quartier est tout-à-fait abandonné ; il passe, parmi la population, pour un lieu souillé ; pas un croyant ne voudrait élever sa maison sur ces ruines maudites, livrées aux immondices et aux chiens errans.

Le préjugé religieux est poussé au plus haut point à Tétouan, et