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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

l’éducation politique était plus avancée dans ses rangs, et qu’encore une fois le juste-milieu espagnol, si l’on veut lui donner ce nom, est une affaire de progrès intellectuel beaucoup plus que de position sociale.

Là est le secret de sa force dans l’avenir, en même temps que de sa faiblesse dans le présent, faiblesse dont il serait néanmoins inexact d’arguer pour contester à ce parti une supériorité politique, au moins relative, sur les deux autres. S’il est moins nombreux que celui-ci, ou moins entreprenant que celui-là, seul, du moins, il est en mesure, hors certaines circonstances passagères, d’exercer dans le pays une action gouvernementale, interdite au parti carliste aussi bien qu’à la faction militaire. Quoiqu’il n’y ait en Espagne ni centre, ni point de ralliement pour les forces nationales ou pour les idées, quoique les provinces, les villes et les citoyens vivent à part les uns des autres et dans un état en quelque sorte passif en face des factions, il est certain que, depuis trois années, chaque fois que ce malheureux pays a pu exprimer sa pensée avec quelque liberté, il s’est instinctivement rapproché de cette opinion moyenne, qu’il sait désireuse de le défendre contre des violences qu’il redoute, sans avoir par lui-même le moyen de s’y dérober.

Ainsi l’on vit, en 1834, la majorité des procuradores, arrivés à Madrid sous le coup des souvenirs et des préjugés de l’époque constitutionnelle, se lier étroitement, sur presque toutes les questions, au système du statut royal ; et plus tard, malgré le mouvement des juntes et les pratiques de M. Mendizabal, elle tenta de se séparer d’un ministre compromis pour revenir aux hommes de son estime et de sa confiance politique. Et, si l’on peut juger des vœux de la nation par l’issue des élections si hardiment affrontées par M. Isturitz, sous l’empire d’une loi très libérale, et où se rendirent avec un empressement inaccoutumé des milliers de citoyens, concours inoui pour l’Espagne ; cette chambre, choisie sous les menaces d’une faction et dans le feu de la guerre civile, eût représenté, à un degré plus éminent encore, cet esprit constitutionnel qui allait recevoir un éclatant hommage, lorsque l’insurrection de Saint-Ildephonse vint, non pas changer le cours de l’opinion publique, mais en entraver la manifestation. Enfin, il suffit de suivre les travaux des nouvelles cortès pour comprendre la puissance de ces idées adoptées aujourd’hui par leurs plus vieux adversaires, et desquelles on est réduit à attendre désormais, contre les progrès du parti carliste, une force si vainement demandée à la faction dont le courage semble s’être épuisé dans les émeutes sanglantes de Barcelone et de Malaga.

On comprendrait assurément fort mal ces observations, si l’on en concluait qu’à mes yeux le statut royal fût une œuvre de haute sagesse politique, propre à satisfaire tous les vœux de l’Espagne, et à fixer irrévoca-