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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

fléchir sa conscience politique sous les nécessités de sa position, consentît à s’entourer de ceux qui furent ses premiers proscripteurs, ne suffit-il pas de se rendre compte de la position de ce prince pour voir que ses promesses seraient illusoires, et que la modération lui créerait des dangers plus immédiats et peut-être plus redoutables que la violence ? Une restauration peut être modérée, à vingt ans de distance, et lorsque l’état des mœurs est tel que les partis ont appris à se vaincre sans s’exterminer ; mais en Espagne, où chaque moitié de la nation a voué l’autre à la mort et à la misère, qui oserait prendre au sérieux une promesse d’amnistie ou le programme d’un gouvernement réparateur ? Ferdinand même put à peine entrer dans ces voies, et ne les suivit jamais sans être contraint d’en dévier bientôt, lui qui avait la France pour alliée, au lieu de l’avoir pour ennemie, et que l’Europe entière entourait de son concours et de ses bons offices ; et l’on espérerait amener don Carlos à se compromettre avec ceux qui l’auraient fait roi pour suivre des inspirations contraires à sa conscience, et l’on s’imaginerait qu’une telle restauration est possible, sans imprimer à la cause monarchique de dangereuses flétrissures, sans faire peser sur elle une solidarité trop redoutable pour les temps où nous sommes ! Funeste croyance, dont l’effet fut d’égarer dès l’origine le sens habituel des cabinets, de les détacher d’une cause à laquelle leur appui aurait prêté une force efficace pour prévenir de grandes calamités : cause représentée par une enfant, et dont l’adoption était, ce semble, peu pénible au prix d’autres sacrifices que la prudence avait fait faire sans hésiter à la paix du monde et au bonheur des peuples !

Disons donc, en résumant ces observations réunies sans parti pris et dans le seul intérêt de la vérité, que, si le parti carliste est encore le plus nombreux en Espagne, il y est aussi le plus impropre à fonder un gouvernement, puisque toutes les fois que l’Espagne a été tant soit peu gouvernée depuis vingt ans, elle a dû l’être contre lui. Ajoutons que ce parti, incapable par lui-même de lutter en 1823, s’est, depuis cette époque, affaibli par le concours d’une foule de causes, au premier rang desquelles on doit placer l’incertitude du droit dynastique, qui, dès la pragmatique de Ferdinand, rallia autour de la jeune princesse des Asturies toute la noblesse de cour et la plus grande partie de celle des provinces. Dans une telle situation, s’il est permis de discuter les chances stratégiques du prétendant, il semble difficile de lui reconnaître des chances politiques, à moins toutefois que les puissances dont les secours lui ont été si utiles pour prolonger la lutte, n’obtiennent le transit à travers la France de cent mille hommes, plus précieux que leurs ambassadeurs pour maintenir don Carlos dans un système de modération dont, en Espagne surtout, la première condition, c’est la force.