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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’elle nous offrira. Il y a deux manières de dominer l’histoire, celle de Montesquieu et celle de Shakspeare, l’interprétation philosophique et l’interprétation poétique. M. Hugo, qui veut non-seulement dominer l’histoire, mais dominer en même temps Montesquieu et Shakspeare, a choisi une méthode nouvelle ; il consulte, pour ses créations dramatiques, une histoire ignorée du monde entier, et grace aux révélations mystérieuses de ses lectures, il déroute l’érudition de l’Europe. Gœttingue et Cambridge, Vienne et Berlin, Milan et Paris, ignoraient les aventures galantes de Charles-Quint, la tendresse maternelle de Lucrèce Borgia, l’impudicité de Marie Tudor. À cette heure, l’Europe attend que M. Hugo veuille bien lui enseigner le reste de l’histoire, et lui souhaite de nombreuses années afin que son enseignement puisse être complet.

On assure que M. Hugo convoite la pairie, et qu’il ne frappe aux portes de l’Académie française que pour entrer au Luxembourg. À notre avis, il y a dans cette double ambition au moins une méprise. Que M. Hugo entre à l’Académie, à la bonne heure ! plus d’une fois nous avons appuyé sa candidature, et sans admettre l’infaillibilité poétique de M. Hugo, nous serons toujours prêts à proclamer l’importance du rôle qu’il a joué dans la littérature contemporaine. Mais il nous semble que pour demeurer fidèle à ses antécédens, il se doit à lui-même, si vraiment il désire la tribune, d’arriver à la tribune par l’élection. Il a devant lui l’exemple de M. de Lamartine qui ne s’est pas découragé. M. Hugo craint-il de ne pas rencontrer dans le corps électoral une assez vive sympathie ? espère-t-il que la cour se montrera plus clairvoyante que la bourgeoisie, et devinera chez lui des facultés que la foule ne saurait entrevoir ? Si M. Hugo était vraiment coupable de cette pusillanimité, nous blâmerions hautement son inconséquence ; car jusqu’ici il a toujours pris la foule pour juge entre lui et ses détracteurs. Or, si la foule est assez sage pour apprécier les Orientales et Notre-Dame de Paris, comment lui serait-il refusé d’apprécier les facultés politiques de M. Hugo ? Elle pourra bien lui reprocher d’attribuer à toutes les assemblées le rôle de la Constituante ; mais le reproche atteindrait beaucoup d’autres hommes d’état. Elle pourra lui conseiller de ne pas renouveler en toute occasion la déclaration des droits de l’homme, et de ne pas confondre les libraires de la Belgique avec l’Europe féodale. Mais, en vérité, il faudrait avoir l’esprit bien mal fait pour ne pas tolérer de pareils reproches ; à moins que M. Hugo ne désire être oublié, ce qui n’est pas vraisemblable, nous lui conseillons de ne pas songer à la pairie.

Jusqu’à présent, les candidats qui se présentent pour recueillir l’héritage de M. Raynouard ne sont pas nombreux. M. Hugo n’a contre lui que