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téraire est morte avec le ministère Martignac. Elle était inconnue sous l’administration Villèle, et dès que M. de Labourdonnaye eut mis les pieds à l’hôtel de la rue de Grenelle, elle disparut sans retour. S’il y a aujourd’hui une camaraderie digne de la satire ou de la comédie, c’est à coup sûr la camaraderie politique ; mais M. Scribe osera-t-il l’attaquer ? Quant à la camaraderie littéraire, fût-elle encore de ce monde, l’auteur de Bertrand et Raton serait fort embarrassé de la peindre, car il ne l’a jamais vue, jamais étudiée. Jamais, que nous sachions, il ne s’est introduit dans le cénacle, et peindre la camaraderie sans consulter le souvenir du cénacle, équivaut à peu près à peindre la civilisation française sans tenir compte de Paris, car le cénacle était le foyer même de la camaraderie. M. Scribe n’a jamais été bien placé pour étudier les mœurs littéraires, car il a toujours affecté un grand dédain pour la littérature. Dans le monde de veuves et de colonels, de banquiers et de grisettes, sur lequel il a vécu pendant la restauration, monde qui n’a jamais existé hors du théâtre dédié par lui à ses collaborateurs, il n’a guère eu l’occasion d’apprendre comment les poètes se louent ou se calomnient entre eux. Je doute même qu’il sache précisément ce que c’est qu’un poète, à moins qu’il ne l’ait appris de Gontier ou de Mme Perrin.

Comme fiche de consolation, M. Jouslin nous promet la Popularité de M. Casimir Delavigne. Mais hélas ! la popularité, nous le craignons fort, est allée rejoindre la camaraderie littéraire. Où est l’homme aujourd’hui qui sacrifie à la popularité le sourire du roi ou quelques sacs d’écus ? où est l’homme qui, pour enchaîner l’opinion, renonce au plus mince emploi, pour lui-même ou pour ses neveux ? S’il y a quelque part un homme de cette trempe, et si cet homme a posé devant M. Casimir Delavigne, nous espérons que l’auteur de la Popularité voudra bien nous livrer le nom de son modèle. Non-seulement, du moins nous le pensons, la popularité n’est plus de ce monde ; mais les hommes qui se partagent aujourd’hui le pouvoir se font de l’impopularité un titre à la confiance des chambres et de la cour. Il ne faut pas exagérer l’importance du patronage littéraire exercé par M. Guizot. Ramenés à leur véritable valeur, tous les encouragemens donnés par M. Guizot, soit aux études historiques, dont plus tard il profitera si la disgrace lui fait des loisirs trop longs, soit à l’art dramatique, pour lequel il n’a jamais montré une sympathie bien vive, signifient tout simplement que l’historien des Stuarts n’a pas même étudié les premiers élémens de la popularité ; car il importe peu à la société française que deux poètes se constituent en conseil de régence pour administrer l’art dramatique. Si M. Guizot avait pour la popularité un amour sérieux et persévérant, j’aime à croire qu’il s’y prendrait autrement pour la conquérir. Le jour où il voudra devenir vraiment populaire,