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gens prennent leur élan de trop loin, et, dépassant le but qu’ils se proposaient d’atteindre, tombent dans l’ornière creuse du bizarre, où ils se débattent toute leur vie et poussent des cris affreux sans que le public les entende. Il faut se défier de certaines haines systématiques qui exagèrent toute chose ; à force de rompre avec le commun et de le poursuivre partout, même là où il n’est pas, on finit par faire bon marché de la simplicité et confondre le bien avec le mal dans ses proscriptions. C’est justement cette haine, dont nous ne discutons ici ni la franchise ni la loyauté, qui fait que Mlle Bertin s’aventure à tout moment en des conceptions trop vastes peut-être pour son inexpérience, s’épuise à vouloir créer des rapports entre des élémens qui se repoussent, se contrarient et ne peuvent s’accoupler que dans la dissonance, et qu’elle entre enfin d’un pas délibéré dans d’inextricables harmonies dont ensuite elle ne sort pas ; prisonnière entre ses propres mailles.

L’opéra d’Esmeralda doit passer, à juste titre, pour l’œuvre la plus complète que Mlle Bertin ait écrite jusqu’à ce jour. On ne peut s’empêcher de rendre hommage au progrès qui se manifeste dans la manière plus adroite et plus sûre dont les instrumens se groupent et les parties se coordonnent. La mélodie, cette qualité précieuse du talent de Mlle Bertin, y est plus habilement produite et mieux mise en lumière. Enfin, si les défauts abondent encore dans cette partition, il y a çà et là des beautés réelles dont un maître se ferait honneur. L’opéra s’ouvre par un appel des cuivres, motif solennel et religieux, d’un caractère magnifique, qui revient pendant la dernière scène, lorsque la Esmeralda s’agenouille, avant de mourir, sur les degrés du parvis de Notre-Dame. À cette occasion, on nous permettra de remarquer que ces sortes d’introductions sont aujourd’hui fort en crédit à l’Opéra. Les illustres musiciens de notre temps ont jugé convenable de se dispenser désormais de l’ouverture, ample morceau qui réclame, pour peu qu’on l’envisage sérieusement, une force de composition à laquelle leur sublime indolence se refuse. C’est merveille comme on traite aujourd’hui l’ouverture, ce vaste prologue, où le maître appelle à lui les esprits, et les met en rapport avec la pensée qu’il va développer ; cette occasion pour le génie d’apparaître avant son heure, cette forme large et profonde où Mozart coule en bronze la statue du Commandeur, qu’il fera plus tard de marbre. Il est vrai que nous