Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/616

Cette page a été validée par deux contributeurs.
612
REVUE DES DEUX MONDES.

tion fourmille tellement sur nos places et dans nos marchés littéraires, qu’on doive affecter de la maltraiter et de lui faire affront, lorsque, par hasard, elle se rencontre.

Sitôt après le Loup garou, petite partition d’essai oubliée aujourd’hui, Mlle Louise Bertin entra dans une voie plus large, où la poussait sa nature énergique : Fausto est le premier pas qu’elle a fait dans cette voie, à laquelle son talent restera désormais fidèle, toujours en travaillant à se modifier. Avec plus de mesure et de composition, un sentiment dramatique plus développé, plus d’expérience dans l’emploi des forces instrumentales, la Esmeralda est, par le style et le caractère dominant, une œuvre cousine de Fausto. Il nous souvient encore de la première représentation de Fausto au Théâtre-Italien, des vieilles haines qui s’émurent à cette occasion, et de tous les amours-propres blessés à mort par le Journal des Débats, qui s’éveillèrent dans leurs sépulcres, revêtirent leurs armures rouillées pour entrer vaillamment en campagne, et venir s’abattre sur l’œuvre d’une jeune femme. Ce fut comme pour Esmeralda, un peu moins acharné peut-être, et rien en cela ne nous étonne ; Mlle Bertin devait bien s’y attendre. Plus la position est élevée, plus l’avenue en est gardée et l’abord difficile. Il est un moment où chaque degré de l’échelle dramatique enfante un obstacle nouveau. Pour peu qu’on ait une poignée d’ennemis en sortant de l’Opéra-Comique, on est sûr d’avoir contre soi la multitude en arrivant à l’Opéra. Si Mlle Bertin voulait renfermer sa pensée dans les justes limites d’un petit acte, et se résigner à n’écrire que ballades, romances, cantatilles, villanelles, et sornettes à l’usage de Mme Dorus, on la laisserait faire et triompher à son aise. Pour revenir à Fausto, même considérée de sang-froid, la tentative était hardie ; on pouvait peut-être, à bon droit, se récrier contre la témérité d’une jeune femme qui s’attaquait, dès son début, à la plus vaste composition des temps modernes. L’entreprise échoua. Qui pourrait, à moins d’être Rossini, mettre dignement en musique la poésie de Goëthe ? À moins de sentir en soi la force divine que donne le génie, qui pourrait embrasser les figures sublimes de l’œuvre du grand maître, et les transporter, du royaume où elles sont nées, dans le monde des sons, traduire en bruits harmonieux les insatiables désirs de Faust, en effets de voix et d’orchestre l’ironie de Méphistophélès