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LES HUMANITAIRES.

naire ne doit pas être une satire. Mais nos jeunes gens n’y regardent pas de si près ; ils ont bien autre affaire en tête que le bonhomme Boiste et ses renvois ; quand l’expression manque, ils la créent, c’est aux vilains de se gratter la tête. Qui ne connaît pas ces momens où la mémoire est de mauvaise humeur ? Il y a de ces jours de pluie où l’on ne saurait nommer son chapeau ; ce fut sans doute en telle occurrence qu’un étudiant affligé de marasme, rentrant chez lui avec un ami, voulut parler d’un philanthrope ; c’est un vieux mot qui s’entendait : philos, ami, anthrôpos, homme. Mais que voulez-vous ? le mot ne vint pas ; humanitaire fut fabriqué : ainsi se fabriquent bien d’autres choses ; ce n’est pas là de quoi s’étonner.

Il serait pourtant temps, comme dit la chanson, de savoir ce que parler veut dire. Un mot, si peu qu’il signifie, n’en a pas moins son quant-à-soi ; c’est quelquefois même une pensée, non pas toujours, entendons-nous, nos écrivains se fâcheraient. Mais qui naît du hasard est enclin à faire fortune, et le susdit mot n’y a point failli. Le voilà imprimé tout d’abord, et les journaux s’en sont emparés. Or, ce de quoi les journaux s’emparent, c’est d’autre chose qu’il faut plaisanter. Ce ne sont pas là de ces petits jardins pour y aller jeter des pierres ; les journaux sont d’honnêtes gens, et nous les prions, avant tout, de ne point se blesser en cette matière. Malepeste ! nous les respectons comme dieux et demi-dieux, et sommes leurs très humbles serviteurs. Les journaux, monsieur, sont puissans, très formidables sont les journaux ; nous en parcourons peu ou prou, mais les révérons tous sur parole. Il ne faut pas croire que nous ne sachions rien faire parce que nous sommes de notre pays. Nous savons lire, et honorer le mérite, et saluer les autorités. Les journaux sont les souverains dispensateurs de bien des choses, parmi lesquelles il y en a de bonnes, et le pire n’est pas pour eux. Qui n’aurait pas quarante sous par mois à donner aux cabinets littéraires ne connaîtrait pas les journaux ; de tel oubli le ciel nous garde ! Nous les donnons, monsieur, depuis vingt ans ; aussi très bien connaissons-nous et vénérons-nous lesdits journaux ; ils siègent en maître dans le forum, consuls, tribuns, sénateurs à la fois, lus de tous, hantés de plusieurs, nourris à souhait, compris de quelques-uns, mais toujours puissans, et toujours imprimés. Rien ne se débat qu’ils n’y soient et qu’ils