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cations grammaticales qu’elle peut avoir subies ; il rapproche cette racine, ainsi réduite, d’un radical sanscrit qui lui ressemble, et qui fournit le sens probable du mot qu’il s’agit d’interpréter. Mais il ne se contente pas de cette vague analogie de racines qui ne prouverait rien ; il faut qu’il retrouve, dans la forme qu’a prise le radical, les caractères, les instincts particuliers de la langue zende. M. Burnouf a fait pour cette langue ce que Grimm a fait pour les idiomes germaniques ; il a découvert les lois particulières d’après lesquelles elle forme ses mots, et la vérification de ces lois propres au zend est pour l’auteur la preuve de ses opérations étymologiques. La version française d’Anquetil et la version sanscrite de Nerioseng, faites toutes deux sur le pelvi par des hommes qui ne remontaient pas à l’original zend, avaient en grande partie perdu la tradition des idées de Zoroastre, ces deux versions, dis-je, servent souvent à M. Burnouf en le mettant sur la voie du sens général d’un passage, mais ne peuvent le conduire à son but, qui est une détermination rigoureuse du sens de chaque mot et de la valeur grammaticale de chaque lettre. Ce but ne peut s’atteindre que par la méthode de tâtonnement, que j’ai indiquée tout à l’heure, dont les résultats acquièrent d’autant plus de valeur, qu’elle s’exerce sur une plus grande masse de textes, de sorte que l’explication d’un mot employé dans un passage se confirme par le sens que ce mot présente dans un autre.

M. Burnouf excelle dans ces investigations délicates ; avec lui, on croit assister à une analyse chimique exécutée par un manipulateur habile, à la solution d’un problème d’algèbre à laquelle on arrive par une suite d’hypothèses qu’on élimine successivement. On le suit avec un intérêt qui, pour un philologue, ressemble à l’intérêt dramatique ; il s’engage dans un chemin, puis le quitte et retourne sur ses pas, en prend un autre ; par instant il s’enfonce et disparaît presque entièrement dans mille détours souterrains qui s’entrecroisent, puis revient à la lumière, et rapporte triomphant le sens d’un mot difficile, lambeau arraché, pour ainsi dire, aux entrailles de ce vieux cadavre de langue.

Peut-être oserai-je reprocher à M. Burnouf la surabondance même de ses ressources, et la profusion de ses expédiens, au moins l’inutile déploiement d’artifices et d’appareils qu’il prodigue,