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BÂLE.

un lion assoupi. Quelques minutes après, le pont-levis tremblait sous notre léger voiturin, et la sentinelle se rangeait pour nous laisser passer ; car la république de Bâle a une armée composée de deux cent un hommes, qui, comme nos gardes nationaux, jouent au soldat et laissent pousser leurs moustaches.

La première chose qui frappe en entrant à Bâle, c’est l’expression de tristesse et de solitude empreinte partout. Qui a traversé nos joyeuses villes de France et ne se rappelle leurs faubourgs animés, leurs fontaines entourées de servantes causeuses, leurs balcons chargés de beaux enfans qui regardent, leurs fenêtres tapissées de jeunes brodeuses dont l’aiguille reste en l’air dès que le bruit d’un équipage fait frissonner les vitres ? Oh ! que de stores entr’ouverts, que de rideaux soulevés, que de coups d’œil, que de sourires ! comme tout vous accueille et vous regarde ! À Bâle, rien de tout cela. Au bruit de votre voiture, on tire les volets, on ferme les portes, et les femmes se cachent. Tout est mort, désert ; on dirait une ville à louer. Si, en traversant un quartier isolé, au détour d’une rue, il vous arrive de tomber au milieu d’un groupe de jeunes filles, qui se sont oubliées à causer sur les seuils, vous les voyez s’envoler, à votre aspect, comme un essaim de pigeons effrayés.

Il ne faudrait point croire cependant que l’emprisonnement volontaire des Bâloises dénote chez elles une absence complète de curiosité ; mais elles ont trouvé moyen de concilier celle-ci avec leur sauvagerie. Des miroirs fixés à des verges de fer, et habilement disposés aux fenêtres, leur permettent d’apercevoir, du fond de leurs appartemens, tout ce qui se passe au dehors, en leur évitant à elles-mêmes le désagrément d’être aperçues. De cette manière le monde passe devant leurs yeux sans les effaroucher, et sous forme de lanterne magique.

Mais si les rues de Bâle sont tristes à parcourir, en revanche on ne saurait donner idée de leur exquise propreté. Toutes les maisons ont l’air d’avoir été finies la veille et d’attendre leur premier locataire. Pas une lézarde, pas une égratignure, pas une tache sur tous ces murs peints à l’huile, pas une fêlure dans toutes ces grilles d’un travail merveilleux qui défendent les fenêtres les moins élevées. Les bancs d’été placés près du seuil sont soigneusement relevés et incrustés dans la muraille, à l’abri de la pluie et du soleil. Si la rue forme une pente trop raide, des mains courantes, fixées aux murs, aident les pas du vieillard ou du paysan chargé. Partout vous trouvez cette attention minutieuse, cette surveillance des besoins de la foule, cette sollicitude du propriétaire et du père de famille. On sent qu’à Bâle rien n’échappe à l’œil du gouvernement, et qu’il fait chaque soir le tour de ses états. À la vérité, la tâche des chefs est facile ; eux-mêmes peuvent descendre aux détails, et, en ouvrant les bras, ils