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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

distinction de personnes, et firent un même carnage du juif Priscus et de ses amis. Les meurtriers, gagnant aussitôt l’asile le plus sûr et le plus proche, se réfugièrent ensemble dans la basilique de Saint-Julien[1].

Soit que Priscus jouît parmi les habitans de Paris d’une grande considération, soit que la vue des cadavres gisant sur le pavé eût suffi pour soulever l’indignation publique, le peuple s’ameuta sur le lieu où ces meurtres venaient d’être commis, et une foule considérable, poussant des cris de mort contre les assassins, cerna de tous côtés la basilique. L’alarme fut telle parmi les clercs, gardiens de l’église, qu’ils envoyèrent en grande hâte au palais du roi, demander protection et des ordres sur ce qu’ils devaient faire. Hilperik fit répondre qu’il voulait que son filleul Phatir eût la vie sauve, mais que les esclaves devaient tous être mis hors de l’asile et punis de mort. Ceux-ci, fidèles jusqu’au bout au maître qu’ils avaient servi dans le mal comme dans le bien, le virent, sans murmurer, s’évader seul par le secours des clercs, et ils se préparèrent à mourir[2].

Pour échapper aux souffrances dont les menaçait la colère du peuple, et à la torture qui, judiciairement, devait précéder leur supplice, ils résolurent, d’un accord unanime, que l’un d’entre eux tuerait les autres, puis se tuerait lui-même de son épée, et ils nommèrent par acclamation celui qui devait faire l’office de bourreau. L’esclave exécuteur de la volonté commune frappa ses compagnons l’un après l’autre, mais, quand il se vit seul debout, il hésita à tourner le fer contre sa poitrine[3]. Un vague espoir d’évasion, ou la pensée de vendre au moins chèrement sa vie, le poussa à s’élancer hors de la basilique, au milieu du peuple ameuté. Brandissant son épée d’où le sang dégoutait, il tenta de se faire jour à travers la foule ; mais, après quelques momens de lutte, il fut écrasé par le nombre, et périt cruellement

  1. Subitò Phatir adveniens, ipsum gladio cum sociis qui aderant jugulavit. Quibus interfectis, ad basilicam sancti Juliani cum pueris suis, qui ad propinquam platæam erant, confugit. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 276
  2. Cùmque ibidem residerent, audiunt quod rex dominum vita excessum famulos tamquam malefactores à basilica tractos, juberet interfici. (Ibid.)
  3. Tunc unus ex his evaginato gladio, domino suo jam fugato, socios suos interficit. (Ibid.)