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de se voir séparé de ses compagnons d’infortune, où il supplie le roi d’étendre sur eux sa clémence. C’est à Lorient que le jeune prince s’embarque pour les États-Unis. Il sera bientôt suivi par sa mère, qui abandonne définitivement la Suisse et renonce à l’Europe. C’est sans doute une triste destinée pour la famille de l’homme qui a porté si haut la gloire du nom français, d’être obligée de vivre exilée de la France, et l’on ne peut sans douleur contempler la fatalité tragique qui veut que les parens de l’empereur ne soient ni rois ni citoyens.

Un évènement bien autrement grave que l’échauffourée de Strasbourg occupe les esprits depuis quelques jours : c’est le mariage du roi de Naples avec la fille du prince Charles, l’archiduchesse Thérèse ; ce mariage, qui paraît certain, enlève une femme au duc d’Orléans, un mari à une de ses sœurs, et met de plus en plus à découvert la situation du gouvernement et de la dynastie de 1830 vis-à-vis l’Europe. Si le roi de Naples eût épousé une princesse d’Orléans, la branche cadette eût entièrement pris la place et la politique de la branche aînée, et elle eût continué par cette alliance l’antique solidarité des Bourbons de Naples et de Versailles. D’un autre côté, M. de Metternich, en donnant une archiduchesse au cabinet de Neuilly, eût reconnu qu’à ses yeux la maison d’Orléans était entièrement substituée à la maison de Bourbon, et cette alliance eût fait entrer la dynastie nouvelle dans la famille légitime des rois. Il y avait quelque bonhomie à se bercer de cette espérance, et cependant un rusé diplomatique s’est pris à cette illusion comme à un piége. M. de Talleyrand revint de Londres, il y a plusieurs mois, fort irrité contre les whigs et lord Palmerston. L’alliance anglaise nous a donné tout ce qu’elle peut nous donner, disait-il alors, il faut nous tourner vers le continent. Dans cette pensée, M. de Talleyrand conseilla de faire voyager les princes, de demander une archiduchesse, convaincu qu’on ne la refuserait pas. Il est possible qu’on ne l’eût pas refusée, mais à la condition que notre politique fût restée armée pour la cause constitutionnelle. Il est possible que si, comme le voulait le cabinet du 22 février, on eût prêté à l’Espagne un appui positif et puissant ; que si, au lieu de laisser le traité de la quadruple alliance sans conséquences et sans portée, on eût montré la volonté ferme de maintenir et de défendre une Europe constitutionnelle à Madrid, à Lisbonne, à Bruxelles, à Stuttgard, à Carlsruhe, sur les bords du Rhin et des Pyrénées, on eût entraîné Naples dans sa sphère, et assez intimidé l’Autriche pour lui faire peser les conséquences d’un refus. Peut-être alors M. de Metternich eût pensé qu’avec un pareil système de force et de modération, la France était assez redoutable pour qu’on dût rechercher son alliance. Mais, au lieu de cette politique digne et habile, on a désarmé, on a abandonné l’Espagne à elle-même, on a relevé par une inaction volontaire la cause et la fortune de don Carlos. Qu’est-il arrivé ? L’Europe, n’ayant plus rien à craindre, n’a rien ménagé. La cour de Naples, le roi et le prince de Salerne, propre frère de la reine des Français, se sont tournés du côté de l’Autriche. Le prince de Salerne est parti de Paris pour Vienne avec des passeports français, et, sous l’inspiration de M. de Metternich, a trahi des espérances conçues,