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LETTRE AU DIRECTEUR.

quelque chose de commun avec l’inspiration propre aux écrivains d’art, qui serait d’avoir été sincère et spontané comme elle. Puisque dans toute cette réponse, je me suis exposé à l’inconvénient de paraître faire mes mémoires, et que j’ai voulu donner raison à M. Sainte-Beuve pour le reproche qu’il m’a fait d’outrecuidance, que puis-je risquer de pire à raconter comment mon retour aux doctrines classiques a eu toute la vivacité et toute la soudaineté d’une inspiration ? Aussi bien, je suis de ces fidèles qui aiment leur croyance plus qu’eux-mêmes, et qui, au besoin, immoleraient leur amour-propre pour les mieux défendre. Ce fut après la révolution de juillet que je sentis les premiers dégoûts, non pour les talens nouveaux dont je suis resté l’admirateur réservé, mais pour les théories dont ils autorisaient leurs défauts, et pour leurs mépris des vieux des derniers siècles, comme disait la bonne Mlle de Gournay des poètes de l’école de Ronsard. Soit que ce grand évènement eût tué d’un coup toutes mes sympathies pour les petits effets de style, soit qu’il m’eût vieilli, je vis que je cessais tout à coup d’être attentif au mouvement littéraire de 1829, et que l’indifférence était arrivée avant que la foi eût été complète. Un voyage en Angleterre m’acheva. J’avais apporté pour les soirées et pour les jours de pluie un Homère et un La Fontaine, deux grands maîtres, fort généreusement tolérés par la nouvelle école, qui m’eût volontiers autorisé à les emporter. Peut-être même ne les avais-je pris qu’avec l’idée qu’ils ne pouvaient me rendre que modérément classique. La saison étant fort pluvieuse, j’eus tout le loisir de lire ces deux poètes incomparables, lesquels ont eu à la fois l’inspiration et le bon sens : c’était tout mon plaisir et tout mon repos, après de longues promenades dans les rues de Londres, au milieu de toutes ces merveilles de bon sens, de civilisation, de raison pratique, de comfort, dans cette nation qui a fait, en quelque sorte, l’histoire de chaque besoin et des mille manières dont les individus l’éprouvent, et qui a pourvu à tout par l’intelligence accumulée de ses générations à la fois si fidèles à la tradition et si inventives. J’oserais conseiller à tout père de famille, dont le fils aurait la tête faible et incertaine, de l’envoyer en Angleterre, dans ce pays où la logique pratique est dans l’air, où on la reçoit par tous ses sens, et où on la foule sous ses pieds. Si, d’ailleurs, ce fils entendait assez la langue d’Homère, ou seulement celle de La Fontaine, pour en faire des lectures et corriger les influences trop prosaïques, je ne doute pas que son esprit ne se raffermît, et qu’il ne revînt de son voyage sain et assuré pour le reste de sa vie.

Pour moi, je revins d’Angleterre entièrement guéri. Je ne comprenais plus les livres que j’avais aimés, et je commençais à aimer les livres que je n’avais pas encore compris. Mon embarras fut grand d’abord, quand je me trouvai tout-à-fait changé pour les écrivains, ne l’étant pas encore