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REVUE DES DEUX MONDES.

Que je pusse arracher ton corps à la poussière,
Baiser tes yeux éteints, t’enlacer dans mes bras.

Je ne t’aimerais pas, ma douce fiancée,
Si mon amour devait s’arrêter au tombeau ;
De ton front virginal la fraîcheur est passée,
Mais je revois toujours ton visage si beau.

L’air vital est éteint sur ta bouche riante,
Mais un souffle éternel est venu t’animer.
Et tu resteras jeune à jamais et charmante,
Comme aux jours où le monde apprenait à t’aimer.

Ne me délaisse point dans ce lieu monotone.
Je suis seul ici bas, songe à moi dans les cieux.
Lorsque dans nos rochers gémit le vent d’automne,
Oh ! reviens : montre-toi quelque soir à mes yeux.

Si la lune apparaît à travers le nuage,
Et si ta main me cherche et m’effleure en passant,
Je me réveillerai pour voir ta chaste image,
Pour entendre ta voix avec son doux accent.

Puis pose sur mon sein, pose ta tête blonde,
Et dans tes bras de neige, ô mon ange, prends-moi,
Enlève les liens qui m’attachent au monde,
Je voudrais être libre et partir avec toi.

Et traversant alors l’aurore boréale,
Loin des lieux où toujours je n’ai fait que gémir,
Sur ces nuages d’or teints de pourpre et d’opale
Nous irions tous les deux chanter, rêver, dormir.


La poésie de M. Thorarensen ne ressemble guère à celle des anciens scaldes. Ce n’est plus l’âpre langage de ces hommes, qui, d’une main tenaient la harpe et de l’autre l’épée. C’est la voix d’une ame rêveuse et aimante qui a souvent caressé maint prestige et pleuré mainte déception. À voir ces vers islandais revêtus d’une teinte méridionale, on dirait que le génie poétique d’une autre contrée est allé s’asseoir auprès de l’homme du nord, et que l’hiver, dans le silence des nuits, celui de qui nous viennent ces stances mélancoliques a plus d’une fois prêté l’oreille aux chants d’amours de Lamartine, aux élégies rêvées près du golfe de Baya.


X. Marmier.